Le panorama de la bataille de Champigny

Le panorama de la bataille de Champigny relate un épisode de la guerre de 1870. Fait rare, cet affrontement fut célébré par chacun des belligérants comme un événement révélant l'héroïsme des armées en présence. Une bataille sans vainqueur ni vaincu en somme même si les troupes saxonnes et wurtembergeoises maintinrent leurs positions tandis que les Français procédaient à un prudent repli stratégique laissant derrière eux 9 500 victimes.
Une exposition présentée dans la ville de Bry-sur-Marne jusqu'au 22 octobre 2021 raconte cette bataille. Nous avons rencontré Vincent Roblin, directeur du musée Adrien-Mentienne et commissaire de l'exposition.

Fragment du panorama de la bataille de Champigny
Fragment du panorama de la bataille de Champigny - Édouard Detaille - Musée Carnavalet

Petit rappel historique

Le 19 juillet 1870, Napoléon III déclare la guerre au royaume de Prusse pour de sombres questions de rivalités européennes et de succession au trône d'Espagne. Dès les premiers affrontements, les Français vont de défaite en défaite et le 2 septembre, l'empereur capitule. Il est fait prisonnier à Sedan. La République est proclamée le 4 septembre et rapidement Paris est assiégée car
la guerre continue. À l'est de la capitale, des troupes de la coalition allemande sont positionnées autour de Bry-sur-Marne, Champigny-sur-Marne, Villiers-sur-Marne, Noisy-le-Grand, villages désertés pour certains par leurs habitants. La bataille de Champigny se déroule du 30 novembre au 2 décembre. La France est définitivement vaincue quelques semaines plus tard et l'armistice signé le 26 janvier 1871.


Pouvez-vous nous rappeler ce qu'est la bataille de Champigny ?

C'est une des batailles de la guerre de 1870 et le principal épisode du siège de Paris par les Allemands. Elle s'est déroulée sur plusieurs jours entre le 30 novembre et le 2 décembre, avec une trêve le 1er décembre, sur les communes de Champigny, Bry et Villiers-sur-Marne, à l'est de Paris. Après une première attaque des Français, les Allemands, Saxons et Wurtembergeois, lancent le 2 décembre à 6 h du matin une puissante contre-offensive afin de chasser les Français de Bry et de Champigny. Ces derniers, surpris par l'attaque, reculent dans un premier temps puis réussissent en fin de matinée à repousser les assauts. Même si au final le siège de Paris n'a pas été rompu, ce qui était l'objectif initial, ce jour-là les Français n'ont pas démérité puisqu'ils ont réussi à défendre Bry et Champigny. Le 3 décembre, impuissants à vaincre la résistance allemande, ils se replient et repassent la Marne sur des ponts de bateaux. On peut considérer que c'est une semi-victoire. C'est pour cette raison que cette bataille a revêtu une importance particulière en termes de propagande au XIXe siècle. La république, toute récente, cherchait à mettre en valeur des succès qui montraient l’héroïsme de l'armée et son esprit de résistance dans la perspective d'une revanche contre l'Allemagne.

Qu'est ce que le panorama de la bataille de Champigny ?
En 1880, deux hommes d'affaires belges font appel à deux peintres d'histoire renommés, Alphonse de Neuville et Édouard Detaille pour réaliser un panorama autour de cette bataille. De Neuville était connu pour ses grands tableaux patriotiques de la guerre de 1870 comme Les Dernières Cartouches par exemple. Detaille était lui aussi très en vue, il a été l'un des fondateurs du musée de l'Armée, il a beaucoup peint le Premier Empire.
Le panorama,  présenté dans une rotonde rue de Berri, à proximité des Champs-Élysées, a ouvert au public en 1882 après deux ans de travail. Il avait une circonférence 120 mètres pour une hauteur de 15 mètres. Les spectateurs étaient placés au centre, à 15 mètres de l'œuvre. Des éléments de décor disposés tout autour permettaient d'éviter une rupture trop brusque entre les spectateurs et le panorama. Le point de vue adopté correspond à celui depuis le plateau du Signal à Champigny le 2 décembre à 11 h du matin au moment où l'armée française réussit à repousser les assauts allemands.
 
Gravure du panorama de la bataille de Champigny
Gravure du panorama de la bataille de Champigny extraite de la brochure proposée aux visiteurs du panorama.
À gauche, les deux fragment présentés dans l'exposition de Bry-sur-Marne. Au centre, l'une des maquettes d'Édouard Detaille.

Pour une œuvre d'une telle ampleur, les deux peintres ne devaient pas être seuls.

Non, même si ce sont eux qui ont réalisé la majeure partie des scènes, ils avaient avec eux une équipe de six ou sept peintres avec des spécialités. L'un pour le ciel, un autre pour l'herbe...
 
Comment se sont-ils partagé le travail ?
Édouard Detaille a participé à la bataille de Champigny, il l'a vécue. Il a donc voulu faire preuve d'un certain réalisme en présentant différentes scénettes. Par exemple, les deux fragments que nous présentons dans l'exposition proviennent de sa partie, ils évoquent le dévouement des secouristes pendant la bataille. Alphonse de Neuville, lui, n'a pas vu la bataille. Il s'est concentré sur deux moments glorieux à savoir l'épisode du four à chaux et le combat de la plâtrière.

Sait-on comment ils ont procédé, ont-ils fait des photos ?
Non, ils n'ont pas fait de photos, contrairement à un autre panorama qu'ils ont réalisé ensemble, celui de la bataille de Rezonville, pour lequel ils avaient effectivement envoyé des photographes sur place. Pour Champigny, ils sont allés sur site pour faire des croquis, Detaille le décrit bien dans son journal. Puis ils ont réalisé 6 maquettes, des tableaux de 2 mètres de long environ, correspondant chacune à une portion du panorama en format réduit.

Ce panorama a-t-il été exploité longtemps ?
Fragment du panorama de la bataille de Champigny
Édouard Detaille - Musée Carnavalet
Le panorama a été présenté pendant une dizaine d'années. Vers 1887, il a été déménagé à Vienne en Autriche et en 1892, son exploitation a cessé. À la différence de beaucoup de panoramas qui disparaissaient ou brûlaient « accidentellement » après 10 ou 15 ans, celui-ci a été découpé en 65 fragments en raison de la notoriété de ses auteurs et de l'importance de la bataille de Champigny. Les morceaux ont été vendus aux enchères à Paris en 1892 et en 1896. Il faut noter que les acquéreurs pouvaient se rendre chez Detaille, de Neuville était décédé à cette époque, pour faire signer leur tableau.
Les seules représentations de l'intégralité du panorama qui nous soient parvenues sont des gravures. L'une était destinée à illustrer la brochure explicative qui était fournie aux spectateurs. Elle mesure 1,2 mètre. L'autre a été publiée dans Le Monde Illustré en novembre 1882.

A-t-on une idée précise des portions qui ont été découpées ?
Aux moments des ventes, un catalogue a été édité, on connaît donc les fragments et leurs titres. Les découpages ont été réalisés en fonction des scènes qui pouvaient être isolées. Le ciel et l'herbe par exemple ont disparu en grande partie contrairement aux zones où se trouvent des personnages. Les tableaux n'ont pas tous les mêmes dimensions. Les plus grands mesurent 5 mètres sur 6, ceux-là étaient plutôt destinés à des institutions.

Sait-on où se trouvent tous ces fragments ?
Non, pas tous. Certains sont bien identifiés et localisés car ils se trouvent dans des collections publiques, d'autres refont surface de temps en temps à l'occasion d'une vente aux enchères.

Carte postale allemande réalisée à partir d'un panorama de la bataille de Champigny
Carte postale réalisée à partir du panorama Die Württemberger bei Champigny-Villiers - Musée Adrien-Mentienne
 
Cette bataille a également été représentée par les Allemands.
Oui, il y a eu trois panoramas de la bataille de Champigny réalisés en Allemagne. Deux à Stuttgart dans le Wurtemberg et un autre en Saxe. Dans la mémoire de ces deux régions dont les troupes qui ont combattu provenaient, la bataille de Champigny occupe une place importante car les soldats ont résisté à cette occasion. Ils ont subi de lourdes pertes mais finalement sont sortis victorieux. À Stuttgart, il existe toujours une Champignystraße. Ces panoramas ne représentent évidemment pas le même moment que le panorama français qui célébrait l'héroïsme de l'armée le 2 décembre en fin de matinée. L'un d'eux montre le 30 novembre en fin d'après-midi au moment où les Allemands ont réussi à empêcher les Français de passer. Les deux autres représentent la bataille du 2 décembre au petit matin au début de la contre-attaque allemande. Ces panoramas ont beaucoup circulé en Allemagne mais ils ont totalement disparu.
 
 
Que présentez-vous dans l'exposition ?
Nous présentons d'abord le contexte de la bataille puis la bataille en elle-même, l'après bataille concerne les victimes, blessés ou morts, les destructions, les ruines et nous terminons par les aspects mémoriels et les panoramas.
Les deux fragments du panorama français que nous présentons sont réunis pour la première fois depuis 129 ans. L'un d'eux provient du musée Carnavalet et l'autre appartient à la fondation Saint Jean-Baptiste de la Salle, il est exposé habituellement dans une maison de retraite des frères.

Propos recueillis le 22 septembre 2021.

L'exposition sur la bataille de Champigny est présentée à l'Hôtel de Malestroit, 2 Grande Rue Charles-de-Gaulle à Bry-sur-Marne (94), jusqu'au 22 octobre 2021. Pour en savoir plus sur la bataille, visitez le site consacré à la bataille de Bry-Champigny.

Un peu de lecture :
  • Comment Bernard, Le XIXe siècle des panoramas, Adam Biro, 1993.
  • Comment Bernard, Das Panoramas : die Geschichte einer vergessenen Kunst, Nicolaische Verlagsbuchhandlung, 2000.
  • La notice Wikipédia de la bataille de Champigny recense la totalité des fragments mis à la vente en 1892 et 1896.
Et pour prolonger, sur le blog :

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