Interview du photographe Philippe de Poulpiquet
Philippe de Poulpiquet est grand reporter au Parisien. Régulièrement envoyé sur des zones de conflit, ses photos racontent les affrontements en Afghanistan, en Libye, en Irak ou encore au Mali et leurs conséquences sur les corps meurtris des combattants. C’est dans le cadre d’un reportage consacré aux soldats de l’opération Barkhane qu’il a réalisé un travail personnel, en panoramique noir et blanc, sur les traces d’Émile Nieger, un militaire topographe, photographe du Sahel il y a plus de 100 ans. Preuve s’il en est que la présence française dans cette immense région n’est pas nouvelle. Parole à un homme de terrain.
© Philippe de Poulpiquet |
Vous avez réalisé en 2019 deux reportages au Sahel sur les soldats de l’opération Barkhane. À cette occasion vous avez suivi les « traces du lieutenant Nieger », un militaire français du début du XXe siècle découvert lors de projets photographiques que vous avez menés avec le musée de l’Armée. Pouvez-vous nous rappeler d’abord en quoi ces collaborations ont consisté ?
Pour la France est un livre que j'ai fait il y a quelques années sur les soldats qui revenaient blessés d’Afghanistan. Je suis allé une dizaine de fois dans ce pays mais je trouvais plus percutant de suivre ces soldats en France comme l’a fait Eugene Richards aux États-Unis sur les soldats blessés en Irak. Le musée de l’Armée avait alors repéré mon travail et acheté une série de tirages pour son fonds photographique.
Invalides. Mémoires de guerre |
© Fonds Nieger, coll. musée de l'Armée, Paris |
Qui était le lieutenant Nieger et qu’a-t-il laissé comme archives ?
© Fonds Nieger, coll. musée de l'Armée, Paris |
Ces deux reportages étaient de nature totalement différente : le premier, en couleur et en numérique, était destiné à la rédaction du Parisien. Le second, en panoramique argentique noir et blanc, s’inscrit dans une démarche plus historique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Oui, Le Parisien souhaitait m’envoyer au Sahel sur l’opération Barkhane, c’était pour moi l’occasion de réaliser également un travail en relation avec les images de Nieger. Pour préparer le sujet, je suis allé voir ses photos aux archives du musée de l’Armée. Je me suis rendu compte à quel point les Français étaient présents dans cette région depuis longtemps. L’idée n’était pas de faire une comparaison mais plutôt de tisser un lien historique et de montrer la continuité de la présence française au Sahel. À la fin du XIXe siècle, elle était justifiée par la colonisation, à présent c’est pour lutter contre le terrorisme. En définitive, c’est une zone que l’armée française n’a jamais réellement quittée.
Pourquoi avoir choisi le panoramique et le noir et blanc ?
Le panoramique m'est apparu évident pour photographier cette immense région désertique qui s’étend à perte de vue et cette guerre « XXL ». Ce format, tout comme le choix esthétique du noir et blanc qui me parait intemporel, correspond bien aux images de Nieger je trouve.
Comment s’est déroulé le reportage ?
Je suis parti avec ma binôme, Ava Djamshidi, aujourd'hui grand reporter chez Elle. Arrivé à Niamey, j’ai eu très peur que mes films soient voilés car je n’ai pas pu éviter les scanners à l’aéroport. Catastrophé j’ai appelé Édouard (Elias) qui m’a rassuré en me disant qu’en Ukraine, ses films avaient été scannés plusieurs fois sans problèmes. Une fois sur place, on nous a expliqué que nous allions rejoindre une colonne de blindés au sein d’une unité de chasseurs à pied dans le cadre de l’opération Bourgou IV. Nous avons roulé 3 jours jusqu’à atteindre la zone des frontières entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso où les djihadistes opèrent puisqu’ils peuvent facilement passer d’un pays à l’autre. Pendant 15 jours, l’unité a ratissé la région et traqué des djihadistes.
Dans ce contexte de reportage en zone de conflit, réaliser en parallèle deux types de prises de vues avec deux procédés n’était pas trop perturbant ?
En fait, je devais sans cesse jongler en passant du numérique à l’XPan mais je savais quelles photos je voulais pour Le Parisien et quelles photos je voulais pour le projet en panoramique. Et puis j’ai très vite retrouvé mes réflexes car j’ai commencé ma carrière avec l’argentique. Je sais qu’on ne mitraille pas en argentique comme on peut le faire avec le numérique. Je gardais aussi en tête les conditions dans lesquelles travaillait Nieger il y a 100 ans, qui développait lui-même ses films, sur place. Finalement, le XPan est adapté à ce type de conditions car il y a peu d’électronique, le boîtier est résistant, plus que le numérique, les optiques sont très bonnes. Et puis je voulais du matériel léger car j’avais aussi mes autres boîtiers, j’étais chargé, avec un casque, un gilet pare-balles, parfois il fallait courir...
© Philippe de Poulpiquet |
Après vos frayeurs concernant vos films à Niamey, êtes-vous satisfait du résultat ?
Oui, ça a bien fonctionné, j’ai pu faire les deux reportages, l’appareil et les films ont bien résisté à la chaleur écrasante et à la poussière. Je suis rentré à Paris avec une trentaine de planches-contacts dont je suis satisfait. Le film Tri-X que j’avais choisi donne une image contrastée, granuleuse et malgré la lumière très dure du Sahel où le Soleil est vraiment au zénith, on garde des détails dans les basses lumières. Il ne faut pas se tromper sur l’exposition car le ciel et le sol sont très clairs et les ombres très denses. Je faisais confiance au posemètre de l’XPan et j’avais également une cellule à main.
Où vos images ont-elles été publiées ?
Les photos numériques ont été publiées dans Le Parisien et la semaine suivante dans Le Parisien Week-end. Les images panoramiques ont été diffusées dans le n° 49 de Polka avec des photos de Nieger.
Vous comptez donc retourner là-bas.
Oui, ce premier reportage en panoramique était un coup d’essai qui m’a donné envie de poursuivre ce travail documentaire. Je voudrais y revenir peut-être 2 fois, pour aller dans d’autres régions, voir d’autres unités. Nieger vivait à l’année dans le Sahel, aujourd’hui c’est complètement différent. Les militaires y restent 4 à 6 mois, nous journalistes y passons par période de 2 semaines. Je pense donc qu’en 2 ou 3 fois j’aurai la matière pour documenter ce conflit comme je souhaite le faire en panoramique. J’ai déposé une demande et je suis dans l’attente de repartir.
Comment envisagez-vous de présenter ce travail ?
Comme il s’agit d’un projet personnel, c’est toujours plus compliqué que pour une commande. Quand il sera abouti, je le soumettrai évidemment au musée de l’Armée pour ses collections, à des rédactions et à des festivals. Actuellement, quelques images sont exposées dans le cadre du Photoclubbing#14 (mois de la photo de Palaiseau).
© Philippe de Poulpiquet |
Quelques photographes qui vous inspirent ?
En panoramique évidemment Koudelka, le maître. Il y a une vingtaine d’années, j’avais été très marqué par le travail de Michael von Graffenried réalisé en Algérie. Le souvenir de ses photos panoramiques ne m’a jamais quitté, j’avais trouvé ça exceptionnel.
Ce format vous intéresse donc depuis longtemps.
Oui, mais les rédactions ou les festivals généralement n’en veulent pas en raison des difficultés de présentation. Je trouve ça dommage parce que l’œil voit plutôt en panoramique. Et dans le Sahel, je trouve que c’est un format d’image extrêmement approprié qui permet de raconter des choses.
Quels sont vos projets ?
Je reviens des États-Unis pour Le Parisien, j’ai fait aussi pas mal de sujets sur le COVID mais je souhaite surtout retourner au Sahel. Mes projets personnels sont souvent liés aux conséquences des conflits, c’est ce qui m’intéresse. Ça me permet de prendre plus de temps sur un sujet que lorsque je suis envoyé par une rédaction, et d’en parler de manière plus posée.
Propos recueillis le 18 janvier 2021.
Pour prolonger la lecture :
- L'interview du photographe Édouard Elias et ses images de la guerre du Donbass.
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