Redonner vie au Panorama de la bataille de Morat

La Suisse peut s’enorgueillir de posséder encore plusieurs panoramas peints datant du XIXe siècle. L’un d’entre eux, le Panorama de la bataille de Morat, est longtemps resté oublié avant d’être redécouvert à l’occasion de l’Expo.02 en 2002. À présent, en concertation avec la fondation qui en est propriétaire, l’Association des Amis du Panorama de la bataille de Morat 1476 travaille d’arrache-pied pour faire construire une rotonde digne d’accueillir cette œuvre monumentale. Nous avons rencontré son président, Gaston-François Maillard, un passionné qui nous raconte l’histoire de ce tableau unique.

Panorama de la bataille de Morat (détail) - Fondation Panorama de Morat 1476

Pouvez-vous nous dire ce qu'est la bataille de Morat ?
Il s'agit de la bataille au cours de laquelle Charles le Téméraire, le duc de Bourgogne, a été battu par les troupes suisses le 22 juin 1476. Six mois plus tard, le Téméraire était tué par les mêmes lors de la bataille de Nancy. La bataille de Morat est constitutive de la Suisse moderne, de la Suisse multilingue puisque la partie francophone du pays est directement issue de la conquête des terres bourguignonnes qui a eu lieu à ce moment. Le démantèlement du duché de Bourgogne a aussi permis à la France de Louis XI de s'agrandir à l'est en annexant la Bourgogne, le Charolais, le Mâconnais... Mais ces événements ont été un peu oubliés. Tout ce qui s’est passé après le XVe siècle est resté dans la mémoire mais là, on est encore dans le Moyen Âge. C’est ancien. Et pourtant, à cette période, il s’est passé des changements majeurs dans l’histoire de l’humanité avec, par exemple, en 1453 la chute de Constantinople prise par les Turcs et, en 1492, la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. Au milieu de cette période, on a les guerres de Bourgogne qui ont profondément changé la carte de l’Europe avec des conséquences qui se sont fait sentir jusqu’à l’époque contemporaine.

Cet événement est important pour les Suisses ?
En Suisse, la prise de conscience de l’événement a eu lieu à partir du XIXe siècle, après la guerre du Sonderbund en 1847, la seule guerre civile qu’ait connu le pays. À la suite de cet épisode, le gouvernement fédéral a cherché à mettre en avant tout ce qui pouvait rassembler et faire l’unité : les batailles, Guillaume Tell... Et c’est à ce moment qu’on s’est rappelé l’origine de la Suisse romande conquise au moment des guerres de Bourgogne à la fin du XVe siècle. Alors, en 1876, pour commémorer le 400e anniversaire de la bataille, des festivités grandioses ont été organisées à Morat avec la reconstitution de tous les corps militaires qui étaient venus se battre et catholiques et protestants, qui s’étaient divisés trente ans plus tôt, se sont alors rapprochés.

C’est donc dans ce contexte que la décision de réaliser un panorama a été prise à la fin du XIXe siècle.
Oui mais d’abord, il faut savoir que durant tout le XIXe siècle, le panorama peint était une attraction majeure qui attirait beaucoup de public. Des investisseurs finançaient la peinture et la construction d’une rotonde. Ensuite il fallait faire venir le public qui évidemment devait payer son entrée. Pour le Panorama de Morat, le travail a été confié à Louis Braun, un peintre allemand déjà réputé pour ses tableaux de scènes militaires ou de chevaux. Il avait été malin en prenant dans son équipe le professeur de dessin du collège de Morat, ce qui explique que la représentation de la ville, avec ses tours et ses remparts, soit si parfaite. En 1894, on construit donc une rotonde à Zurich, qui était déjà à l’époque la plus grosse ville de Suisse, à proximité du lac, dans un endroit stratégique pour faire venir des spectateurs. Les premières années, le panorama rencontre un grand succès commercial, attirant un public suisse et allemand. Puis, la fréquentation diminue au point qu’on décide de déplacer le panorama à Genève en 1899 pour tenter de relancer l’affaire. Un nouveau public est attiré et puis c’est la première Guerre mondiale, des révoltes à Genève au moment de la Révolution russe, la grippe espagnole... À ce moment tout s’arrête. Le cinéma était aussi arrivé entre-temps, ce qui a donné un coup d’arrêt à la mode des panoramas. Alors en 1919, le promoteur zurichois du panorama décide de le vendre pour pas très cher à la ville de Morat qui refuse dans un premier temps. Cinq ans plus tard, elle finit par accepter à condition que la toile lui soit offerte. Pour cette petite ville, c’était un cadeau empoisonné car elle n’a jamais eu les moyens de l’exposer dans de bonnes conditions. Et pendant plus de soixante-dix ans, ce panorama a été oublié.

Comment a-t-il été redécouvert ?
Restauration du panorama pour l'Expo.02
  Fondation Panorama de Morat 1476
En Suisse, tous les vingt-cinq ans environ, il y a une exposition nationale qui permet aux habitants de se voir, de se rencontrer et de se découvrir les uns les autres. La dernière, l’Expo.02, a eu lieu en 2002 et à cette occasion il a été décidé d’exposer le panorama qui était resté tout ce temps roulé dans un atelier municipal de Morat. Il est constitué de trois rouleaux de 500 kg chacun, mesure 100 mètres de long sur 10 mètres de haut soit 1000 m2. La toile a été restaurée, certaines parties abîmées en haut et en bas ont été retirées. Le comité fédéral d’Expo.02 a lancé un concours international pour une présentation temporaire du panorama et c’est l’architecte Jean Nouvel qui l’a remporté. Il a créé un cube, en acier Corten, qui flottait sur le lac de Morat à l’intérieur duquel le panorama était entièrement visible. Pendant les quatre mois qu’a duré l’expo, le panorama a eu un succès fou car l’immersion dans l’image est un vrai choc esthétique. Bien qu’il s’agisse d’une bataille, les couleurs sont vives, les costumes chamarrés, le ciel très bleu, le camp du Téméraire est magnifique avec toutes ses armoiries. L’astuce de Braun, c’est d’avoir réussi à faire passer tout le côté violent de la guerre au second plan contrairement aux panoramas de Waterloo ou Bourbaki qui sont certes très beaux mais aussi très sombres, durs, tristes.

Le cube conçu par Jean Nouvel pour l'Expo.02
Fondation Panorama de Morat 1476

Que s’est-il passé après l’Expo.02 ?
À la fin de l’Expo.02, le cube a été démonté car le cahier des charges le prévoyait, il ne devait rien rester après l’événement. Une fondation a alors été créée et trois missions lui ont été confiées : continuer les études sur les guerres de Bourgogne, la maintenance de l’œuvre et enfin trouver une solution de mise en valeur définitive du panorama dans des délais raisonnables. Le temps a passé et en 2012, un projet de rotonde au musée historique de Berne a vu le jour. Malheureusement, les exigences financières du musée étaient trop importantes car le projet était, disons-le, pharaonique. Il n’a donc pas abouti et la fondation s’est retirée. Peu après, nous avons créé l’Association des Amis du Panorama Morat 1476 (AAPM) car nous estimions à l’époque que la fondation pouvait être soutenue.

Les autres panoramas suisses
  • Le Panorama de Thoune a été peint vers 1810 par Marquard Wocher. Représentant la ville de Thoune, c'est le plus ancien panorama conservé au monde.
  • Le Panorama Bourbaki à Lucerne. Peint par Édouard Castres en 1881, il représente la débâcle de l'armée du général Bourbaki en 1871 lors de la guerre de 1870 et l'accueil par la Suisse et la Croix Rouge des soldats français.
  • Le Panorama d'Einsiedeln. Peint à partir de 1892, il représente la crucifixion du Christ.

Quel est donc le projet actuellement ?
Alors, en 2026, on fêtera le 550e anniversaire de la bataille. Si une rotonde pouvait être construite à cette date, ce serait évidemment pour nous une forme de couronnement de cette commémoration. Je dois dire que maintenant il y a une dynamique, tout le monde va dans le même sens, la fondation, l'association, les autorités. Nous avons déjà sollicité de nombreux donateurs et mécènes sur lesquels nous pouvons compter le jour où le lieu aura été choisi. À ce jour, nous avons trouvé plusieurs sites possibles, comme à Gruyères, à Broc ou même à Morat mais toujours dans la région, c’est à dire dans le canton de Fribourg afin de respecter les termes de la donation du panorama dans les années 1920.
D’un point de vue plus commercial, pour lutter contre le désintérêt des spectateurs après avoir vu le panorama une première fois, l’idée serait de diversifier le spectacle. Par exemple, en profitant de l’espace de la rotonde pour projeter des images sur une deuxième toile rétractable en s'inspirant de ce que font les Carrières de Lumières aux Baux-de-Provence.

Comment faites-vous connaître le projet ?
Le container de l'exposition
En ce moment nous avons une exposition itinérante qui présente le projet, l’histoire de la bataille, des images du panorama, une immense photo de la restauration de la toile pour l’Expo.02 qui donne une bonne idée du côté monumental, une émission de la TV romande ainsi que la maquette d'un projet de rotonde issu d'un travail de l'École polytechnique de Lausanne. L’exposition est présentée dans un container que nous avons acheté et dont les déplacements sont pris en charge par l’armée. D’avril à novembre 2019, l’exposition circule dans une douzaine de villes.
Et puis, sur les conseils du conservateur du panorama Bourbaki à Lucerne, nous avons adhéré à l’International Panorama Council (IPC), une association internationale qui fédère tous les panoramas du monde et qui nous soutient à présent dans notre démarche. J’ai fait une présentation au dernier congrès qui a eu lieu en septembre 2018 à Istanbul. À cette occasion, nous avons découvert qu’il y avait un renouveau des panoramas dans le monde. Certains ont vu le jour ou vont ouvrir prochainement en Turquie, au Mexique, au Cambodge, en Chine, en Argentine... Nous avons donc bon espoir que notre projet aboutisse.

Propos recueillis le 19 juin 2019.

Les photos (à l'exception de celle du container) sont issues de l’article de G.-F. Maillard et L.-J. Garey “Rebirth of the Panorama of the Battle of Morat: A Forgotten Memorial to a Crucial Event in European History” publié dans l’International Panorama Council Journal en 2018.

Pour en savoir plus, visitez le site consacré au panorama de Morat.

Un peu de lecture :
  • Comment Bernard, Le XIXe siècle des panoramas, Adam Biro, 1993.
  • Comment Bernard, Das Panoramas : die Geschichte einer vergessenen Kunst, Nicolaische Verlagsbuchhandlung, 2000.
Et pour prolonger, sur le blog :

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