Girault de Prangey, premier photographe panoramiste ?

Dessinateur, peintre, photographe, orientaliste, archéologue, Joseph-Philibert Girault de Prangey fut un précurseur à plus d’un titre. Maîtrisant l’art du daguerréotype dès le début des années 1840, il entreprend dans la foulée un grand voyage en Méditerranée qui fait de lui l’un des tout premiers à photographier l'architecture antique, le Proche-Orient mais aussi à pratiquer le portrait ou le format panoramique. Revenu de son périple de trois ans avec des centaines d’images, il publie des recueils de lithographies consacrées aux monuments qu’il a photographiés et dessinés. Le redécouverte de son travail de daguerréotypiste, resté longtemps méconnu, est récente et Girault de Prangey trouve désormais une place méritée dans l’histoire de la photographie. Le Metropolitan Museum of Art (MET, New York) qui possède une collection de plaques et de lithographies lui consacre une grande exposition durant ce premier semestre 2019. Bonne nouvelle, une déclinaison française de cette exposition sera présentée fin 2020 au musée d'Orsay.

Photographie panoramique du Ponte Rotto à Rome prise par Girault de Prangey en 1842
Ponte Rotto, Rome, 1842, Joseph-Philibert Girault de Prangey - Metropolitan Museum of Art, New York

Originaire de Langres (Haute-Marne), Joseph-Philibert Girault de Prangey est né en 1804 dans une riche famille aristocratique. Il étudie les beaux-arts, d’abord dans sa ville natale puis à Paris où il fréquente plusieurs ateliers de peintres paysagistes. Entre 1831 et 1834, il entreprend un premier grand voyage en Italie, en Espagne et en Algérie. Il y réalise des dessins et des aquarelles d’architectures antiques et arabes pour lesquelles il se prend de passion.

Autoportrait présumé de Joseph-Philibert Girault de Prangey
Autoportrait présumé de Girault de Prangey, vers 1840
Bibliothèque nationale de France
À son retour, ses dessins lui servent de modèles pour des peintures comme cet intérieur de la chapelle palatine de Palerme ou cette vue de l’Alhambra (Grenade) conservées au musée d’Art et d’Histoire de Langres. Il publie alors des recueils de ses œuvres lithographiées. Si l'on en croit Henry Brocart, auteur d’une notice biographique dans le Bulletin de la Société historique et archéologique de Langres en 1893, Girault de Prangey fait usage pour ses dessins d'architectures « remarquables comme exécution et comme exactitude » d'une chambre claire. Attention, et contrairement à ce qu'écrit Brocart qui s'emmèle un peu les pinceaux dans la chronologie, il n’est évidemment à l’époque pas encore question de photographie puisque Daguerre ne dévoile son procédé qu'en 1839. Lorsqu'il le découvre, mesurant bien son utilité pour le relevé architectural, Girault de Prangey s’y intéresse immédiatement et, en 1840, il s’initie au daguerréotype. Mais qu’on ne s’y méprenne pas, sa vocation d’artiste et de passionné d’architecture ancienne demeure bien le dessin. Pour lui, la photographie n’est qu’un moyen de conserver l’image exacte d’un monument qu’il aura ensuite tout loisir de reproduire.

C’est ainsi que, formé à la technique du daguerréotype, Girault de Prangey part pour un second grand voyage de début 1842 à fin 1844. Ce périple le conduit successivement en Italie, en Grèce, en Turquie, en Palestine et en Égypte. Pendant ces trois années, la moisson d’images est considérable puisqu’il revient avec plusieurs centaines de plaques. D’autres comme Gaspard-Pierre-Gustave Joly de Lotbinière ou Frédéric Goupil-Fesquet, également équipés d’appareils de prise de vue, l’avaient précédé dans ces contrées, dès la fin de 1839, mais il semblerait que leurs clichés ne soient pas arrivés jusqu’à nous. Seuls subsistent les gravures réalisées d’après leurs daguerréotypes publiées dans les Excursions daguerriennes (volume 1/2 sur Gallica) en 1841 par Noël-Marie Paymal Lerebours. À ce stade, nous constatons que tous les photographes de l’époque avaient des noms à rallonge mais revenons à Girault de Prangey. Ses daguerréotypes du Proche-Orient constituent un patrimoine exceptionnel par leur nombre d'une part mais également parce qu'ils sont, jusqu'à preuve du contraire, les plus anciens encore conservés de cette région du monde.

Photographie panoramique de Damas prise par Girault de Prangey en 1843
Damas, Syrie, 1843, Joseph-Philibert Girault de Prangey - Bibliothèque nationale de France

Parmi toutes ces images, on trouve un certain nombre de panoramiques (qui restent minoritaires par rapport à l'ensemble), généralement au format 9 par 24 cm, ce qui correspond à une plaque coupée en deux dans le sens de la longueur. Pour quelles raisons Girault de Prangey avait-il adopté ce format encore inhabituel à l’époque ? Très certainement souhaitait-il optimiser l’utilisation de ses plaques sans rien perdre du précieux support. Mais ces images tout en long révèlent aussi des choix de cadrage affirmés : la vue des toits d’une ville ancienne, un pont, un monument qui se déploient sur toute la longueur de la plaque. Rappelons que nous sommes entre 1842 et 1844, à l’époque, la photographie s’invente peu à peu et même si sa culture classique de dessinateur et de peintre le guide, ses compositions n'en demeurent pas moins originales. Autre innovation, Girault de Prangey réalise également quelques portraits que l'on peut qualifier pour certains de « scènes de genre », démarche tout à fait inédite pour l'époque étant donné les contraintes de temps de pose. Rappelons que les premiers à se lancer réellement dans cette pratique photographique sont Hill et Adamson qui documentent l'Écosse de manière magistrale à partir de 1843.

Photographie panoramique du désert près d'Alexandrie en 1842 par Girault de Prangey
Désert près d'Alexandrie, 1842, Joseph-Philibert Girault de Prangey - Metropolitan Museum of Art, New York

Minaret à Alexandrie photographié par Girault de Prangey en 1842
Grand Minaret, Alexandrie, 1842
J.-P. Girault de Prangey - MET
De retour en France, Girault de Prangey publie à compte d’auteur plusieurs recueils de dessins lithographiés d’après ses daguerréotypes comme par exemple ce Monuments arabes d'Égypte, de Syrie et d'Asie Mineure, dessinés et mesurés de 1842 à 1845. Il  range ensuite soigneusement ses plaques pour ne plus en faire aucun usage. Dans les années qui suivent, il pratique encore la prise de vue puis abandonne progressivement pour s’intéresser à la culture de plantes exotiques. Il meurt en 1892 solitaire et sans descendance. Girault de Prangey était un original « souvent vif et très mordant » pour reprendre les termes d'Henry Brocart, manière de dire qu’on avait affaire là à un drôle de bonhomme... Son domaine est racheté dans les années 1920 par un dénommé Charles de Simony qui découvre les boîtes de daguerréotypes et comprend leur valeur. Progressivement la collection est dispersée. Simony ou ses héritiers offrent des plaques à la BnF, au musée gruérien de Bulle (Suisse), en vendent à des collectionneurs. C’est enfin au début des années 2000 que plusieurs ventes sont organisées par Christie’s où certaines images atteignent alors des prix records (plus de 920 000 $ en 2003 pour une photo du Temple de Jupiter olympien à Athènes de 1842 en couverture du catalogue de « Monumental Journey » ci-dessous). Sur le millier de plaques de la collection originelle, environ cinq cents sont connues. La BnF en possède près de deux cents, une soixantaine sont en Suisse au musée gruérien, les autres sont au MET, au J. Paul Getty Museum (Californie), au Centre Harry Ransom (université du Texas), au musée de Doha (Qatar) ou chez des collectionneurs. D’autres ressurgiront très certainement dans l'avenir.

Ermoúpolis, Syros, Grèce, 1843, Joseph-Philibert Girault de Prangey - Bibliothèque nationale de France

Du 30 janvier au 12 mai 2019, le MET présente, en collaboration avec la BnF, l'exposition « Monumental Journey, The Daguerreotypes of Girault de Prangey ». Il faudra patienter jusqu'à l'automne 2020 pour voir en France au musée d'Orsay (Paris) cette exposition. Espérons que celle-ci nous apporte une éclairage sur la démarche et les motivations de Girault de Prangey. Par exemple, ses portraits et ses panoramas n'ont, a priori, pas fait l'objet de reproductions lithographiques. Cela révèle-t-il une « tentation photographique », à laquelle aurait succombé l'artiste au delà du simple relevé architectural qui semblait constituer la principale finalité de ses daguerréotypes ? L'exposition nous le dira peut-être.


Un catalogue en français sera sans nul doute publié à cette occasion mais pour l'heure, le catalogue en anglais Monumental Journey est disponible ainsi que Miroirs d'argent (Éditions Slatkine) celui d'une exposition qui s'est tenue en 2008 au musée gruérien.

Couverture du catalogue de l'exposition Monumental Journey au MET
Monumental Journey
Metropolitan Museum of Art, 2019
Couverture du catalogue de l'exposition Miroirs d'argent au musée gruérien
Miroirs d'argent
Musée gruérien, Éditions Slatkine, 2008











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