Interview du photographe Jean-Christophe Béchet
Jean-Christophe Béchet est un photographe de talent. Mais pas seulement. Il est également un homme de mots qui sait parler avec une grande justesse de ses images ou de ses sources d’inspiration. Celles-ci débordent d'ailleurs largement l’univers de la photographie pour aller puiser du côté de la littérature, de la musique ou du cinéma. Rencontre avec un homme de l’art qui, parmi la vingtaine d'ouvrages qu'il a déjà publiés, en a consacré deux, Minéral [Altitude] et Gunung, à des photos panoramiques.
Dans votre ouvrage Influences, vous évoquez à plusieurs reprises le format panoramique en lien avec quelques illustres photographes : Josef Sudek, Josef Koudelka ou encore Pentti Sammallahti. Comment vous êtes-vous intéressé à ce format d’image ?
Mineurs récoltant du soufre, cratère du Kawah Ijen, Java © Jean-Christophe Béchet |
J’ai découvert le panoramique de deux manières. Tout d’abord par les livres et les photographes qui avaient publié des images dans ce format. Et puis, à la fin des années 1990, est arrivé l’Hasselblad XPan. Je me suis alors plongé plus directement dans la prise de vue panoramique car j’ai besoin de pratiquer pour comprendre et apprécier, c’est l’objet même du livre Influences. Pour moi, dans toute activité culturelle, il y a cet aspect d’intérêt, d’admiration, mais je pense qu’on prend plus de plaisir quand on pratique soi-même. Comme la cuisine !
Ce n’était pas une forme photographique qui vous enthousiasmait plus que ça.
Ce n’était pas une forme photographique qui vous enthousiasmait plus que ça.
C’est vrai, avant de m’y essayer, je n’avais pas d’intérêt particulier pour le panoramique. Ce format était pour moi synonyme d’appareil un peu lourd, volumineux, il ne correspondait pas tellement à ma façon de photographier. Je n’étais pas non plus un adepte du recadrage. Avec l’XPan, je suis allé voir d’un plus près les auteurs qui s’étaient exprimés dans ce format. Et puis un peu plus tard, j’ai rencontré Pentti Sammallahti, pas encore très connu à l’époque. J’ai beaucoup aimé ses photos, avec leur atmosphère si particulière, difficiles à situer dans leur époque. J’y ai trouvé une liberté très éloignée de l’image habituelle du panoramique « carte postale ». Du coup, je me suis intéressé à ce format que j’ai tout de suite associé au noir et blanc, sans doute pour casser cette image un peu esthétisante du panoramique touristique. Pour moi c’est un format « littéraire ». Une photo carrée se donne d’un seul regard. Un panoramique nécessite un temps de lecture, il y a une idée de travelling, de récit.
C’est donc l’usage d’un appareil, l’XPan, qui vous a donné goût au « format long ».
C’est donc l’usage d’un appareil, l’XPan, qui vous a donné goût au « format long ».
J’étais jusqu’alors très formaté par le 24x36 et le 6x6 et je me suis dit qu’une autre écriture pouvait naître avec cet appareil très maniable. J’avais utilisé quelques appareils panoramiques comme les Noblex ou le Fuji 617 mais je n’avais pas réussi à bien les maîtriser, je ne voyais pas en quoi j’y mettais une part de moi-même, je me sentais contraint. Je pense qu’à sa sortie, l’XPan a ouvert la voie du panoramique à de nombreux photographes issus de l’école du reportage qui ne voulaient pas travailler avec un appareil trop gros. Et comme il utilisait du film 24x36, on pouvait tirer facilement soi-même ses photos contrairement aux autres modèles moyen format pour lesquels il fallait des agrandisseurs énormes et donc passer par un labo.
La visée que permettent ces appareils argentiques est pour vous primordiale.
Sur les pentes du Bromo, Java © Jean-Christophe Béchet |
La visée que permettent ces appareils argentiques est pour vous primordiale.
Pour moi, le format de cadrage influence la créativité directement. Au même endroit et à la même heure, on ne fera pas les mêmes images avec un appareil carré, un 24x36 ou un panoramique. C’est pour cette raison que je crois à la nécessité d’avoir un appareil spécifique pour rester concentré sur la question du cadrage. J’aime bien cette idée que chaque appareil est un peu dédié à une esthétique. En numérique par exemple, j’ai acheté un Leica Monochrom qui ne fait que du noir et blanc, je ne suis donc pas tenté de faire de la couleur quand je l’utilise. Comme j’ai de nombreux appareils, quand je pars aux États-Unis, je prends un 6x6 et un 24x36, en montagne un XPan... Je m’impose cette hygiène du regard.
Le numérique ne semble pour l’instant pas adapté à votre pratique du panoramique.
Le numérique ne semble pour l’instant pas adapté à votre pratique du panoramique.
Je pense que l’on ne peut photographier que ce que l’on voit. C’est pour ça que j’ai du mal avec les assemblages car j’ai l’impression que l’on veut tout montrer en même temps. Certaines images sont très spectaculaires, je les admire parfois en termes de technicité mais ça n’a rien à voir avec la photographie panoramique telle que je la pratique. Dans un assemblage, c’est une machine qui reconstruit un espace complètement fictif or je ne vois pas le monde comme ça. Avec un appareil panoramique argentique, si ça ne marche pas dans le cadre et bien on ne fait pas la photo. Alors c’est vrai, il n’existe pas d’appareil numérique dédié au panoramique. Cela dit je pense que l’on peut quand même faire du panoramique numérique, je ne parle pas d’assemblage, avec un appareil qui dispose d’un bon viseur ou même avec l’écran arrière, et en recadrant. Pourquoi pas ? Le GFX de Fuji, qui fabriquait l’XPan pour Hasselblad il faut le rappeler, permet un cadrage panoramique avec des volets, certains commencent à l’utiliser. Après il y a un côté frustrant à n’utiliser qu’une partie du capteur.
Le panoramique impose-t-il un style au photographe selon vous ?
Le panoramique impose-t-il un style au photographe selon vous ?
Pour moi le panoramique est une découpe du réel un peu différente des autres formats qui implique cette idée de narration, de début et de fin dans l’image. Mais je ne pense pas que ce cadrage donne une signification automatique aux photos. Chaque auteur l’amène dans son univers. Avec Koudelka, on a une image avec des structures complexes, du désordre comme dans son livre Chaos. À l’inverse avec Sammallahti, on a une image très posée, zen. En ce qui me concerne, je l’ai plutôt utilisé en noir et blanc pour des photos de montagne mais je m’en suis aussi beaucoup servi comme un appareil classique en photo de rue. Je pense que le panoramique peut être aussi bien le format d’images calmes et poétiques que celui d’une cacophonie visuelle et d’un fourmillement de formes. Ces deux extrêmes me plaisent.
Vous avez publié de nombreux ouvrages. Deux d'entre eux, Minéral [Altitude] et Gunung présentent quasi exclusivement des photos panoramiques. Comment ce type d’images s'accommode-t-il du format livre ?
Je réfléchis beaucoup en termes de livre. Je ressors des photos parfois 15 ou 20 ans après les avoir faites et mon travail avance de cette manière, livre par livre. Et c’est vrai que le panoramique pose de vrais problèmes de mise en page. Par exemple, un sujet trop centré ne sera pas adapté à une photo en double-page, il faut donc l’anticiper à la prise de vue. La solution c’est de publier dans un très grand format, mais c’est très coûteux à produire et impossible à ranger dans une bibliothèque ! J’aime bien aussi rassembler dans un même ouvrage différents formats, de la couleur, du noir et blanc, de jouer sur cette complexité du regard qu’offre la photographie. De mixer, comme en musique, différents instruments, différentes sonorités. Avec le panoramique c’est plus difficile.
La montagne semble être votre espace de prédilection pour la photo panoramique.
Parco naturale Alpi marittime, Italie © Jean-Christophe Béchet |
Oui, je l’emploie beaucoup pour la photo de montagne pour laquelle j’ai longtemps cherché mon univers. Je l’ai trouvé dans les ambiances minérales, chaotiques. Le premier livre de photos panoramiques que j’ai sorti, Minéral [Altitude], rassemblait uniquement des images verticales. Pour moi c’est le format le plus compliqué à gérer en vertical. Il faut remplir le cadre de bas en haut, c’est particulièrement difficile même en montagne, paradoxalement. Ensuite j’ai publié Gunung en 2014, un livre sur les volcans d’Indonésie et les habitants qui vivent autour. Les images dataient de 2005, j’avais photographié en 24x36/couleur et panoramique/noir et blanc mais finalement je n’ai gardé que les panoramiques qui me paraissaient mieux raconter cette ambiance un peu lourde autour des volcans et de ceux qui vivent et travaillent à proximité.
Vous évoquez dans Influences une série en cours, « Le temps long ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Vous évoquez dans Influences une série en cours, « Le temps long ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
En photographie, il y a toujours une histoire de temps qui m’intéresse beaucoup. Une photo arrête le temps, on a un temps de pose et puis ensuite il faut laisser reposer. Je conseille beaucoup de sortir les photos quelques années après les avoir faites, une fois que le temps de la prise de vue a été oublié et qu’on en est à celui de la restitution. Le panoramique pour moi s’inscrit bien dans ce temps long, d’où le nom de la série. J’accumule les images panoramiques dans cet esprit avec l’idée que la photo ne raconte pas seulement un petit fait, rapide, mais qu’elle se déploie dans un temps étiré. Comme une note de musique tenue longtemps. Les images n’ont pas encore été publiées car justement, je prends mon temps. C’est une série au long cours ! J’aimerais bien y mettre différents types de panoramiques car j’essaie toujours de creuser le langage photographique dans mes séries. C’est à dire de montrer le réel à ma façon mais à travers la photo qui a sa propre logique de cadrage, de déclenchement ou de restitution. Trop souvent dans la photographie on ne parle que du sujet alors que le format, carré, vertical, 24x36, panoramique me paraît essentiel. C’est comme si en littérature, on ne parlait que du sujet d’un roman en évacuant le style de l’auteur. Photographier en panoramique dès la prise de vue, c’est un parti-pris exigeant qui complique la vie mais c’est aussi plus excitant quand on y arrive, comme toute chose difficile.
Propos recueillis le 8 mars 2018.
Sur le site de Jean-Christophe Béchet, retrouvez une sélection de photos, tous les ouvrages et l'actualité du photographe.
À noter également, la Petite philosophie pratique de la prise de vue photographique écrit en collaboration avec Pauline Kasprzak.
Du 27 avril au 26 août 2018, Jean-Christophe Béchet présente son exposition « European Puzzle » au pôle de photographie Stimultania à Strasbourg.
À noter également, la Petite philosophie pratique de la prise de vue photographique écrit en collaboration avec Pauline Kasprzak.
Du 27 avril au 26 août 2018, Jean-Christophe Béchet présente son exposition « European Puzzle » au pôle de photographie Stimultania à Strasbourg.
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