Interview du photographe François Lacour

Pendant longtemps, François Lacour a photographié des objets, des natures mortes, en argentique à la chambre grand format. Et puis, en délaissant son studio, il a choisi de s'intéresser aux paysages urbains et aux espaces naturels. Ce qui ne l'a pas empêché de conserver ses habitudes de travail, en particulier dans le soin et la précision apportés au cadrage de l'image. Pour lui, la prise de vue est comme un rituel. Rencontre avec un photographe qui a une pratique de l'image panoramique très personnelle.

Triptyque panoramique de François Lacour de la forêt communale de St-Martial depuis le suc du Clapas
La forêt communale de St-Martial depuis le suc du Clapas © François Lacour

Vous avez publié en 2018 Grands versants, un ouvrage autour la ligne de partage des eaux en Ardèche et en Haute-Loire. Comment s’est construit ce projet photographique ?
Couverture de l'ouvrage Grands versants de François Lacour et Pierre Présumey
Grands versants, Hauteur d'Homme, 2018
En 2017, dans le cadre d’une série d’actions culturelles autour de la ligne de partage des eaux, le parc naturel régional des Monts d’Ardèche m’a proposé une carte blanche photographique sur ce thème. Après avoir fait une exposition, j’ai poursuivi la série et commencé à réfléchir à un livre. En cherchant un éditeur, j’ai fait la rencontre de Luc Olivier qui dirige les éditions Hauteur d’Homme basées au Puy-en-Velay. Il a été séduit par le projet et nous avons donc décidé de sortir un livre avec un texte de Pierre Présumey, un auteur qui connaît très bien la région.

Avec ce travail, vous vous êtes lancé dans la photo de paysage et de nature.
J’habite en Ardèche depuis à peine trois ans et c’est vrai que jusqu’alors, je n’avais presque jamais fait de photos de nature. J’ai beaucoup travaillé sur les objets, la ville, l’architecture, l’art contemporain, l’industrie mais pas les paysages naturels. Cette série a donc été pour moi une manière de découvrir la région car il me fallait des points de vue dans lesquels on retrouve les spécificités des deux versants, atlantique et méditerranéen, qui sont très différents. Le relief n’est pas le même de part et d’autre, il a une influence sur la vie sociale et économique. J’ai pris ce travail un peu comme une chasse au trésor : prendre les petites routes, monter sur un rocher pour trouver le spot qui correspondait à ce que je cherchais. Et puis j’ai travaillé sur une année, on a donc des photos prises à toutes les saisons avec des différences de lumières et de météo.

Triptyque panoramique de François Lacour du Sépoux et des sources de la Loire depuis le mont Gerbier-de-Jonc
Le Sépoux et les sources de la Loire depuis le mont Gerbier-de-Jonc © François Lacour

Vos images, panoramiques, sont présentés sous forme de triptyques. Pour quelle raison ?
D’abord, en démarrant la série, rapidement j’ai trouvé que le format panoramique était celui qui correspondait le mieux à la linéarité et à l’ampleur du paysage que je photographiais. Ensuite, pour les tirages de l’exposition, je souhaitais des grands formats. J’avais quitté mon Hasselblad pour un Nikon D800, je me suis alors rendu compte qu’au delà d’un certain agrandissement, la qualité des photos ne me satisfaisait pas. J’ai donc pris le parti de faire « en trois fois ». Il ne s’agit pas d’une longue photo panoramique que j’ai divisée mais bien de trois images distinctes : gauche, milieu et droite. Pour moi le triptyque permet de faire prendre conscience de l’ampleur du paysage, du fait qu’il dépasse largement le cadre. J’y vois aussi la possibilité d’entrées de lecture un peu différentes, par l’image du centre ou celles des côtés. Et c’est vrai que quand je vois un paysage maintenant, très vite je fais un triptyque. Je me sens un peu frustré avec une vue unique ! Même dans la manière de faire la photo, je trouve qu’une seule photo, c’est un peu rapide, un peu trop facile.
En ce qui concerne le livre, Louise Lacour, la graphiste a fait un travail très intéressant en s’appuyant et en prolongeant certaines lignes, entre et au delà des photos : ligne de partage des eaux, ligne d’horizon, lignes de tension du paysage… Cela renforce l’idée que le paysage déborde de la photo.
Finalement le seul reproche que je ferais aux images panoramiques, c’est la difficulté de mise en valeur. Quand on veut les mettre au mur, il y a toujours trop d’air. Même chose pour de l’édition ou sur Instagram ! C’est un format intéressant pour l’immersion, pour l’ampleur mais pas évident à montrer. Il m’est arrivé de présenter en exposition deux panoramiques, l’un au-dessus de l’autre mais ça n’a pas la même cohérence qu’un diptyque par exemple. 

Justement, dans vos séries, vous présentez régulièrement des diptyques de photos verticales. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Les diptyques correspondent à une autre démarche. J’aime bien faire des photos verticales et très vite je suis tenté de mettre deux images l’une à côté de l’autre lorsqu’il y a une correspondance graphique ou de propos. Je fais donc assez naturellement des diptyques pour créer des contrastes, des continuités, établir des rapports de grandeurs...

Photo panoramique de la Mer du Nord prise depuis une plateforme pétrolière parde François Lacour
Mer du Nord, série « Alwyn North » © François Lacour

Avant le projet en Ardèche vous aviez pratiqué le format panoramique à plusieurs reprises.
Il y a quelques années, après avoir travaillé pendant une vingtaine d’années uniquement en studio à la chambre 4 x 5 ou 20 x 25, j’ai commencé à « sortir » pour faire des images en extérieur mais je dois dire que l’utilisation d’une chambre hors studio est assez laborieuse. J’ai alors découvert l’XPan, un appareil pour lequel j’ai eu un coup de foudre. Il est très agréable, pratique à utiliser, les optiques sont excellentes. C’est un outil qui correspondait à la fois à ma manière de travailler et aux sujets que je voulais traiter. C’est comme ça que j’ai fait ma série « Périphéries » en travaillant sur trépied et rarement à main levée car je faisais les prises de vue à des heures assez peu lumineuses, plutôt le matin, entre chien et loup. Ensuite, j’ai fait « Huta Polska », une série en Pologne, toujours à l’XPan, sur des sites en cours de désindustrialisation et puis j’ai eu l’opportunité de me rendre sur une plateforme pétrolière pour « Alwyn North » et « Offshore People ». J’avais aussi pris l’XPan et un Hasselblad pour faire des portraits en format carré.

Vous faites peu de portraits.
C’est vrai, je ne me sens pas très à l’aise en face de quelqu’un, mettre en scène, avoir ce regard d’une personne qui attend qu’on la prenne en photo. « Identité(s) », la série de portraits en noir et blanc que j’ai faite, pour moi ce sont des visages/paysages. Quand les gens étaient devant la chambre 4 x 5, je ne leur donnais aucune indication. Il n’y a pas d’émotions, c’était vraiment une approche très plasticienne.

La série « Sucs, serres et autres rochers d’Ardèche » est en noir et blanc alors que vous êtes plutôt un photographe coloriste. Pour quelle raisons ?
Et c’est aussi un format panoramique, en 2:1. Quand je suis arrivé en Ardèche, j’ai mis un peu de temps pour trouver mes marques. En me promenant dans la région, j’ai découvert les sucs [petits sommets d’origine volcanique] dont le plus emblématique est le mont Gerbier-de-Jonc. Ces petites montagnes architecturent bien le paysage et je me suis dit que c'était une bonne thématique pour aborder l’Ardèche. J’ai donc commencé par cette série. Le noir et blanc, je l’ai choisi d’abord parce que le rendu chromatique des photos couleurs ne me satisfaisait pas, ensuite il donnait une cohérence au sujet quelles que soient les conditions météo au moment de la prise de vue. Il y a aussi un petit côté « dessin à l’encre de Chine » qui me plaît.

Quel matériel utilisez-vous pour vos photos de paysages ?

Lorsque je suis passé au numérique, j’ai beaucoup utilisé l'Hasselblad H3D pour photographier des espaces d’art contemporain et puis, comme il était un peu lourd quand même, je suis passé au Nikon D800 mais j’ai été limité par la taille des tirages. J’ai donc pris un Fuji GFX 50. La qualité optique est superbe et le côté pratique me convient parfaitement. Pour les paysages, je ne me sers plus que de cet appareil. J’ai le même plaisir à l'utiliser que l’XPan.

Photo panoramique du périphérique parisien de François Lacour
Périphérique parisien, série « Périphéries » © François Lacour

Vous avez gardé vos habitudes de photographier sur trépied comme en studio.

Oui, j’aime bien travailler de cette manière, souvent en pose longue, à faible sensibilité avec beaucoup de profondeur de champ. J’éprouve un vrai plaisir à me poser pour choisir un point de vue, à passer un moment sur place et à prendre du temps pour cadrer précisément mes images. Ce n’est pas la même chose que juste prendre une photo comme ça, en passant. Je retrouve effectivement un peu le même type de mise en place que j’avais avec une chambre, en studio. La seule différence, c’est l’apprentissage de la patience. Parfois, je suis obligé d’attendre longuement la bonne lumière avant de prendre une photo ou de chercher le bon point de vue. Enfin, il y a la satisfaction de s’être donner de la peine, d’en avoir un peu bavé pour arriver à une image. C’est important pour moi. De se confronter au monde et à soi-même.

Des photographes qui vous ont influencé ?

Il y a un photographe qui m’a beaucoup marqué autrefois, c’est Joel-Peter Witkin qui fait des monstres, en noir et blanc, avec des grattages de la pellicule. Bon, je m’en suis un peu détaché, le côté freaks m’intéresse moins à présent. J’aime beaucoup toute l’école allemande, les époux Becher, Andreas Gursky, Thomas Ruff. Je pense également à Nick Knight ou à Nadav Kander qui a fait un travail magistral en Chine sur le Yangtze.

Quels sont vos projets ?
Je poursuis la série sur les sucs et puis j’ai démarré un travail autour d’un ruisseau très encaissé près de chez moi, le Mézayon. Il n’y a rien de spectaculaire, tout est sauvage. On y croise d’anciens bâtiments de moulinage [travail du fil de soie]. Pour moi, c’est un terrain de jeu pour trouver des cadrages, des lumières. Comme d'habitude, j’essaie de travailler de manière exhaustive et donc je suis le ruisseau d’un bout à l’autre. J’ai aussi une série intitulé « Arbres 2.0 », tout à fait différente avec un travail de surimpression de positifs et de négatifs sur Photoshop. J’ai déjà exposé quelques images avec une peintre qui fait de l’hyperréalisme en noir et blanc et tout le monde croyait que mes photos étaient des peintures et que ses encres étaient des photos.

Propos recueillis le 2 décembre 2018

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