Interview de Mathias Roudine, collectionneur et vendeur de panoramiques vintage

Mathias Roudine, collectionneur et antiquaire, est un passionné de photographie panoramique ancienne. Dans son stand du marché Paul-Bert aux Puces de Saint-Ouen (93), il propose du mobilier vintage mais aussi de grandes images réalisées au Cirkut durant la première moitié du XXe siècle. Son regard pétille à la simple évocation d’un tirage rare pour lequel il est capable de se montrer intarissable. Rencontre avec un érudit, amoureux du grand format, qui nous fait partager son enthousiasme pour un genre photographique largement méconnu.

Photographie panoramique d'un champ pétrolier aux États-Unis en Californie vers 1910
Monte Cristo Oil Co, Californie, vers 1910

Comment en êtes-vous arrivé à vous passionner pour la photographie panoramique ancienne ?
J’ai commencé par m’intéresser à la photo ancienne conventionnelle, en particulier la photo de groupe, d’abord en tant qu’amateur et collectionneur puis en tant que marchand. Rapidement j’ai été séduit par la photographie panoramique et particulièrement celle réalisée au Cirkut. Le choc pour moi en découvrant ces images incroyables ! Je m’intéresse aussi à des formats plus courts comme ceux produits au Kodak Panoram. L’achat et la vente sont une manière pour moi de faire vivre ma collection et j’expose sur mon stand du marché Paul-Bert aux Puces de Saint-Ouen depuis sept ans en renouvelant régulièrement les pièces.

Brochure publicitaire du début du XXe siècle de l'appareil panoramique Al-Vista
Vous présentez essentiellement des photos prises au Cirkut. On se rend compte alors de la prépondérance de la photo américaine.
Quand le Cirkut arrive sur le marché américain en 1907, le public est déjà familier et amateur de panoramiques. L’Al-Vista ou le Panoram, commercialisés quelques années plus tôt grâce à l’arrivée de la pellicule souple, ont préparé le terrain. Des milliers d’appareils se sont vendus auprès du grand public, ce qui a contribué à forger dans ce pays une culture du format panoramique. Et les Américains aiment voir les choses en grand ! Pour les professionnels, le Cirkut arrive donc comme le parfait outil de promotion de l’espace américain : la valorisation de l’action humaine sur un territoire immense, les photos de groupes gigantesques… Quant aux tirages, en ce début de XXe siècle, ils représentent les premiers posters, des images que l’on accroche au mur avec des punaises.

Quels sont les thèmes ou les sujets photographiés ?
Il y a les grands classiques : photos de groupes, militaires, associations, l’automobile, l’aéronautique, le naval. Mais au fil des recherches, on voit apparaître aussi des spécialisations. Un photographe a couvert l’industrie minière, un autre le forestier ou le ferroviaire, d’autres encore s’inscrivaient plus dans une démarche géographique sur le territoire d’un État.

Photographie panoramique d'un défilé de maillot de bain en 1924 à Galveston au Texas
5th Annual Bathing Girl Revue, 1924, Eugene O. Goldbeck

Brochure publicitaire de l'appareil panoramique Cirkut camera
Le Cirkut a-t-il été commercialisé en France ?
Difficile à dire. Il était présent en Angleterre où il a longtemps été utilisé jusqu’à la fin du XXe siècle, en Belgique également. Mais je ne connais pas de photographes français ayant travaillé au Cirkut, alors que paradoxalement c’est très certainement le cyclographe de Damoizeau vers 1894, un appareil rotatif français, qui en a inspiré la conception. La France a été peu réceptive aux grands formats. Cela dit je n’arrive pas à m’expliquer pourquoi, en France, le Cirkut est resté absent. On a utilisé toutes sortes d'appareils jusqu’aux chambres grand format mais pas le Cirkut. Peut-être y a-t-il eu des mesures protectionnistes à l’époque ou du lobbying pour empêcher sa commercialisation en France. Cela reste une énigme pour moi. D’autant que Kodak avait du stock car le Cirkut 10 pouces, qui était l’appareil phare de la gamme, avait été un peu surproduit, raison pour laquelle il a été commercialisé pendant plus de quarante ans. Kodak aurait pu tenter de l’écouler en dehors de ses frontières.

Voyez-vous tout de même passer des photos panoramiques européennes anciennes ?
Peu d’images au Cirkut. Pour la France il y a eu des missions américaines en 1909 puis en 1919 avec Schutz qui a sillonné le nord et l’est de la France, le sud de la Belgique et l’Allemagne pour permettre d’évaluer les réparations de guerre. On trouve des photos de Paris au Cirkut mais leurs auteurs sont là aussi des américains comme Moffet en 1909 ou Goldbeck en 1927 venu pour accompagner une association d’anciens combattants. On trouve des photos de Français, comme Braun, les frères Neurdein ou le duc d’Orléans par exemple. Il s’agit souvent de photos réalisées avec des appareils à objectifs rotatifs comme le Panoram ou avec des appareils prototypes. Les images faites au cyclographe sont extrêmement confidentielles. Cependant on reste le plus souvent sur des formats d’environ 8x30 qui n’atteignent pas les dimensions des images américaines.

Vue panoramique de Paris depuis le toit du Grand Palais à l'occasion de l'exposition internationale des Arts décoratifs en 1925
Vue panoramique de Paris depuis le toit du Grand Palais à l'occasion de l'exposition internationale des Arts décoratifs,
1925, Kahill Photo Studios

Et le reste du monde ?

Il existe des photos au Cirkut de Chine par exemple, un peu de Pékin et surtout de Shanghai pour lesquelles il y a désormais une grosse demande. Les prix s’envolent donc. À ma connaissance très peu de photos d’Afrique, à l’exception de l’Égypte, c’est dommage car là aussi on m’en demande.

Ces images anciennes se conservent-elles bien ?
Les grandes images panoramiques sont généralement stockées enroulées. C’est en tout cas de cette manière qu’elles étaient livrées aux clients. Et c’est dans la moitié des cas sous cette forme qu’on les découvre. L’intérêt de ce mode de conservation, c’est qu’elles ont été préservées de la lumière. Mais au moment de dérouler, le risque est de casser ou de déchirer le papier en raison des conditions de température ou d’hygrométrie dans lesquelles l’image a été conservée. La taille même de ces photos, qui peuvent atteindre plusieurs mètres de longueur, est donc un handicap pour leur bonne conservation. Autre souci, les bains de fixation qui étaient parfois un peu légers sur des séries faites dans l’urgence.

Photos panoramiques aux Puces de Saint-Ouen
Les photos, après restauration, sont présentées et vendues encadrées.

Est-ce que vous restaurez ces photos ?
Oui, bien sûr. Lorsque je trouve une photo, elle n’est généralement pas prête à être exposée. Le but évidemment est de la montrer en la mettant sous cadre. Certaines images sont sales et nécessitent un très long gommage pour enlever la crasse accumulée. C’est un travail de patience, surtout lorsque le papier présente des déchirures ou si l’émulsion est détériorée. Mais c’est le seul moyen pour faire revenir la lumière d’un ciel grisâtre ou réapparaître des contrastes ternis. Il m’arrive d’être obligé de les décoller du support ancien sur lequel elles ont été collées avec tout et n’importe quoi. Ensuite il y a la mise sous presse, parfois en humidifiant le papier pour aplatir une image qui est parfois restée enroulée pendant près d’un siècle. C’est un très long travail. Mais je ne peux pas me résoudre à abandonner ces photos, je fais en sorte qu’elles revivent, qu’on les voit. Et puis contrairement à la photographie vintage « classique », certains amateurs sont plus attachés au sujet photographié qu’à l’état de conservation du tirage. Ils sont donc prêts à accepter qu’une photo soit un peu fatiguée pourvu qu’elle corresponde à ce qu’ils cherchent.

Faites-vous des retirages ?
Il m’est arrivé d’en faire exceptionnellement pour répondre à une demande très précise mais sinon je m’en tiens à des images d’époque. Cela dit le marché du retirage de panoramiques existe et il s’est beaucoup développé. D’ailleurs je n’ai rien contre car plus il y aura de copies qui feront connaître ces images, plus l’œil du public sera éduqué et plus il y aura d’amateurs de vrai vintage ! Après, les copies, même quand elles sont très bien faites, ne peuvent jamais rivaliser avec des originales. Pour une raison simple, ces copies sont faites dans la quasi totalité des cas d’après tirages et non pas d’après négatifs. Ces derniers, généralement en nitrate de cellulose, vieillissent très mal. À présent nombre de négatifs ne sont plus exploitables.

Photo panoramique de Whittier en Alaska en 1957
Whittier, Alaska, 1957, Eugene O. Goldbeck

Où trouvez-vous vos images ?
Parfois en France. Des marchands qui savent que je me suis spécialisé dans ce type d’images m’en proposent, des collectionneurs qui ont des doublons également. Il peut s’agir aussi d’un rachat de collection. Mais les principales sources d’approvisionnement sont aux États-Unis, au Canada et en Angleterre. Je suis en chasse constamment ! Au fil du temps je me suis constitué un réseau de marchands et de collectionneurs avec qui je reste en relation et qui me contactent dès qu’ils ont quelque chose d'intéressant. Je pratique une veille permanente en direction des salles de ventes par exemple. Et puis je chine car je reste avant tout moi-même collectionneur.

La photo panoramique ancienne est-elle recherchée en France ?
Il faut reconnaître que c’est une niche du point de vue du marché et un sous-thème de la photo ancienne mais qui est, à mes yeux, complètement sous-estimé. En France, le genre panoramique n’a jamais rencontré beaucoup de succès car il n’y a jamais connu d’âge d’or contrairement aux États-Unis au début du XXe siècle. Je regrette parfois un manque de curiosité de certains collectionneurs qui restent bloqués sur leurs thèmes de prédilection mais je m’accroche et je continue à être présent, seul je dois dire, sur ce créneau de la photo panoramique ancienne.

Photo panoramique de la mine de Kennedy dans le Wisconsin vers 1915
Kennedy Mine, Wisconsin, vers 1915, The Lighty Photo Co

Le marché est plus développé outre-Atlantique ?

Il y a plus d’amateurs et de collectionneurs là-bas, oui, mais le panorama de groupes s’est tellement développé à l’époque du Cirkut, il est devenu tellement commun qu’il a été complètement dévalorisé. Dans la plupart des greniers, on trouve un rouleau avec la photo de l’aïeul ou du grand-oncle en tenue militaire au milieu de son régiment. L’image panoramique aux États-Unis fait partie de la culture populaire et donc, pendant longtemps, elle n’a pas eu beaucoup de valeur. Les choses changent un peu avec une certaine prise de conscience. Les belles vues se font plus rares et les prix augmentent. En fait les seules photos panoramiques dont les prix atteignent des sommets sont celles pour lesquelles il y a un intérêt particulier pour un sujet : présence de tel héros américain, un Buffalo Bill vieillissant, une course automobile, telle équipe de baseball ou de football américain. Le prix des photos augmente aussi lorsqu’elles sont signées. Après, il faut savoir que la plupart des images signées de Goldbeck l’ont été par son fils ou son petit fils… Lui-même n’ayant jamais rien signé avant les années 1950.

Cette dévalorisation est-elle due au caractère commercial de l’activité des photographes panoramistes américains ?
Il y a eu une espèce de scission entre photographie commerciale et artistique au début du XXe siècle. Goldbeck par exemple connaissait Steichen mais en adoptant le Cirkut, il a scellé son destin de photographe commercial pour des décennies et donc le regard que l’on pouvait porter sur ses images. Les panoramistes ont toujours été considérés comme des techniciens ou des commerciaux mais pas comme des artistes. C’est un peu injuste car certains étaient réellement de très grands compositeurs d’images. Mais évidemment, ils devaient faire tourner une affaire, leur appareil était leur source de revenus.

Photographie panoramique de ballons d'observation en Californie vers 1919
Ballons d'observation, Californie, vers 1919, Huddleston Photo Co

Fréquentez-vous des foires ou des salons de photographies ?
La France bien qu’étant le pays de la photographie avec l’Angleterre, propose très peu de foires à la photo comparée à l’Angleterre justement ou aux États-Unis. Historiquement on avait Paris Photo à l’automne, où les place d’exposants sont très chères, avec quelques salons off mais quasiment rien d’autre. Depuis quelques années des marchands comme la galerie Verdeau ou Photo Vintage France ont souhaité renouveler l’offre en organisant de nouveaux événements dédiés à la photo vintage à d’autres moments de l’année, avec des marchands qui viennent de toute l’Europe. J’essaie d’être présent à ces salons, en prenant un stand important car j’ai beaucoup à montrer et mes images sont grandes !

Mathias Roudine tient le stand 247 dans l’allée 5 du marché Paul-Bert aux Puces de Saint-Ouen le vendredi matin, le samedi, le dimanche et le lundi toute la journée.

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