Le Cirkut, un appareil mythique
Un appareil rotatif gros comme un micro-ondes, pesant près de 10 kg et commercialisé pendant plus de quarante ans, des rouleaux de pellicule de plusieurs mètres de long, telles sont les caractéristiques hors normes du Cirkut. Destiné à la prise du vue panoramique, il fut, durant l’entre-deux-guerres, l’outil de prédilection de photographes américains répondant essentiellement à des commandes de grands portraits de groupes ou d’images promotionnelles.
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Introduction
Catalogue Century Cameras |
Pendant la prise de vue, l'appareil tournait sur lui même grâce à un mécanisme mû par un ressort tandis que la pellicule défilait de manière synchrone. Selon le modèle, il était possible d'utiliser des rouleaux de 5 à 16 pouces de large (12 à 40 cm) pouvant mesurer plusieurs mètres de long. Les tirages obtenus par contact conféraient aux images, lorsqu'elles étaient nettes (!), une incroyable précision et un piqué inégalé.
D'abord des portraits de groupes
Officiers de Camp Grant, 1917, Rockford Illustrating Co Library of Congress, Prints & Photographs Division |
Aux États-Unis entre les années 1910 et 1930, âge d'or des images produites au Cirkut, les photos panoramiques connurent un très fort engouement. De nombreux studios s'équipèrent avec ce matériel pour répondre essentiellement à une demande de photos de groupes. Militaires, compagnies de pompiers, promotions d'étudiants, ouvriers, rassemblements politiques ou religieux, concours de beauté... Toutes les occasions étaient bonnes pour faire d'immenses portraits rassemblant parfois plusieurs centaines voire milliers de personnes.
Militaires posant pour un photographe travaillant au Cirkut devant l'université de Toronto, 1916 By Provincial Archives of Alberta, via Wikimedia Commons |
Le Cirkut servit également à produire des photos de paysages, de villes, de chantiers, d'événements ou parfois de catastrophes. À l'exception de la Grande-Bretagne, l'Europe resta à l'écart de cette mode. Il existe bien des images réalisées sur le vieux continent, généralement par des photographes américains, mais l'essentiel de cette production photographique se fit aux États-Unis.
Champ pétrolier de Goose Creek (Texas), 1919, Frank J. Schlueter Library of Congress, Prints & Photographs Division |
L'image véhiculée par ces panoramiques est souvent celle d'une Amérique conquérante, fière d'elle et blanche (industrie pétrolière, concours de beauté, régiments militaires, chantiers pharaoniques...) dont sont exclus, à de rares exceptions près, les Afro-Américains et les Amérindiens. Les groupes d'ouvriers et de mineurs comme ci-dessous échappent à cette règle car la diversité de la société y est évidemment plus présente.
Mineurs à Longacre (Virginie-Occidentale), vers 1920, Rufus E. "Red" Ribble - Cirkut.org |
Des images désormais recherchées par les collectionneurs
Produites en grand nombre pendant plusieurs décennies, ces photos relativement courantes sont désormais recherchées par les collectionneurs. La cote d'une photo augmente quand celle-ci présente le gag du pizza run : dans une photo de groupe, une fois la prise de vue démarrée, un personnage présent à une extrémité de la scène courait se positionner de l'autre côté, en passant derrière l'appareil avant que celui-ci n'ait terminé sa rotation, afin d'être présent deux fois dans l'image. Sur le portrait de groupe ci-dessous, le deuxième joueur en partant de la gauche se retrouve à l'extrémité droite en train de saluer de la main. Rendez-vous sur la page Wikimédia de cette photo pour la voir en plus gros plan.Équipe des New York Yankees, San Antonio (Texas), 1922, E. O. Goldbeck Harry Ransom Center, University of Texas via Wikimedia Commons |
Insigne formé par le personnel de la base de Kelly (Texas), 1926, E. O. Goldbeck |
America by the Yard: Cirkut Camera
America by the Yard: Cirkut Camera |
Artistes ou business men ?
Les photographes qui produisaient des images au Cirkut étaient-ils des artistes ou simplement d'habiles techniciens ne répondant qu'à des commandes ? Éternel débat. Ce qui est certain c'est que le Cirkut, inadapté au reportage, ignoré des artistes, fut, la plupart du temps, un appareil destiné à la propagande et à la réclame, pardon, la communication et la publicité. Autrement dit un appareil de prises de vues purement commerciales. Il est frappant de constater que l'histoire de la photographie, en Europe tout du moins, ignore totalement cette production d'images alors que d'autres, comme les pratiques amateurs ou la publicité par exemple, ont, depuis longtemps, acquis leurs « lettres de noblesse ». Doit-on donc dénier toute démarche artistique ou créative aux photographes qui usèrent du Cirkut ?
Prenons deux exemples « extrêmes » : Eugene O. Goldbeck et Walker Evans qui ne pratiquait pas l'image panoramique rappelons-le. À l'exception de quelques recadrage comme cette version de tombe d'enfant (Art Institute of Chicago) prise lors de son séjour en Alabama en 1936 avec James Agee, rares sont les formats longs chez lui. Les images de ces deux photographes sont diamétralement opposées. L'un et l'autre captaient pourtant ce qui leur semblait constituer l'essence de l'Amérique. Le spectaculaire pour l'un, le vernaculaire pour l'autre. Alors que Goldbeck immortalisait des régiments militaires ou des concours de beautés, Evans photographiait les petites gens et les métayers pendant la Grande Dépression. Goldbeck exhibait son attirail et montait des échafaudages pour enregistrer d'extravagantes mises en scène, quand Evans planquait son appareil sous son manteau pour photographier, à leur insu, les passagers du métro new-yorkais. L'un a développé un business florissant tandis que l'autre a patiemment creusé son sillon qui a fait de lui un artiste unanimement reconnu.
Tout les opposait, la démarche, le style, les sujets, pourtant, à leur manière, ils ont l'un et l'autre photographié l'Amérique.
Les photographes qui produisaient des images au Cirkut étaient-ils des artistes ou simplement d'habiles techniciens ne répondant qu'à des commandes ? Éternel débat. Ce qui est certain c'est que le Cirkut, inadapté au reportage, ignoré des artistes, fut, la plupart du temps, un appareil destiné à la propagande et à la réclame, pardon, la communication et la publicité. Autrement dit un appareil de prises de vues purement commerciales. Il est frappant de constater que l'histoire de la photographie, en Europe tout du moins, ignore totalement cette production d'images alors que d'autres, comme les pratiques amateurs ou la publicité par exemple, ont, depuis longtemps, acquis leurs « lettres de noblesse ». Doit-on donc dénier toute démarche artistique ou créative aux photographes qui usèrent du Cirkut ?
Prenons deux exemples « extrêmes » : Eugene O. Goldbeck et Walker Evans qui ne pratiquait pas l'image panoramique rappelons-le. À l'exception de quelques recadrage comme cette version de tombe d'enfant (Art Institute of Chicago) prise lors de son séjour en Alabama en 1936 avec James Agee, rares sont les formats longs chez lui. Les images de ces deux photographes sont diamétralement opposées. L'un et l'autre captaient pourtant ce qui leur semblait constituer l'essence de l'Amérique. Le spectaculaire pour l'un, le vernaculaire pour l'autre. Alors que Goldbeck immortalisait des régiments militaires ou des concours de beautés, Evans photographiait les petites gens et les métayers pendant la Grande Dépression. Goldbeck exhibait son attirail et montait des échafaudages pour enregistrer d'extravagantes mises en scène, quand Evans planquait son appareil sous son manteau pour photographier, à leur insu, les passagers du métro new-yorkais. L'un a développé un business florissant tandis que l'autre a patiemment creusé son sillon qui a fait de lui un artiste unanimement reconnu.
Tout les opposait, la démarche, le style, les sujets, pourtant, à leur manière, ils ont l'un et l'autre photographié l'Amérique.
Des photographes contemporains
Quelques photographes ont encore pratiqué depuis les 30 dernières années la photo panoramique au Cirkut. Richard Malogorski, le conférencier de la vidéo en début d'article, présente sur son site plus de 150 images prises depuis 1996 à travers tous les États-Unis. Les scans ont été faits à une forte résolution ce qui permet de zoomer sur chacune des images.Schoolyard Near Albion, Montana, 2015, Richard Malogorski |
Le photographe américain d'origine chinoise, John Yang, a réalisé des panoramiques au Cirkut dans les années 1980.
Angel Oak, 1986, John Yang |
Quelques exemples de panoramas également produits au Cirkut par le sculpteur et photographe Kenneth Snelson durant les années 1980.
East River Drive with Brooklyn Bridge, 1980, Kenneth Snelson |
Pour prolonger la lecture :
- 230 ans d'histoire de l'image panoramique
- Les panoramiques des collections institutionnelles américaines 1/3
- Les panoramiques des collections institutionnelles américaines 2/3
- Interview de Mathias Roudine, collectionneur et vendeur de panoramiques vintage
- Eugene O. Goldbeck, photographe de la démesure
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