Interview de la photographe Delphine Trentacosta

« Photographe engagée », c’est ainsi que se définit Delphine Trentacosta. Engagée dans la valorisation et la défense de l'environnement du Médoc où elle vit et travaille mais aussi engagée par l’énergie qu’elle déploie pour monter d’ambitieux projets à la rencontre de l’art et de la science. Nous avons rencontré la photographe, l’occasion pour elle de nous parler de deux de ses projets régulièrement exposés : de gigantesques photos panoramiques consacrées au littoral et à l’estuaire de la Gironde. 

111, d'une pointe à l'autre exposé à la grange du patrimoine de Vendays-Montalivert
La fresque photographique 111, d'une pointe à l'autre exposée à la Grange du patrimoine  © Delphine Trentacosta

111, d’une pointe à l’autre, un immense projet photographique que vous avez réalisé, est installé à demeure à la Grange du patrimoine sur la commune de Vendays-Montalivet (33). Pouvez-vous nous dire ce qui se cache derrière ce titre énigmatique ?
111, d’une pointe à l’autre est une grande fresque photographique qui part du cap Ferret et qui monte jusqu’à la pointe de Grave au Verdon-sur-Mer. C’est 111 kilomètres de trait de côte photographiés depuis un ULM, de la mer vers la terre, assemblés et qui forment un panoramique de 111 mètres. Cette photo gigantesque montre la beauté et la fragilité de ce territoire de la Gironde.

Comment vous-êtes vous lancée dans ce projet un peu fou ?
En 1993, j’avais déjà parcouru ces 111 kilomètres, à pied, en compagnie d’un vidéaste et d’un musicien. Tous les kilomètres nous avions balisé la côte avec des totems en bois flotté. C’est donc une côte que je connais bien et que j’avais déjà photographiée en 6X6. L’idée de la photo aérienne était d’avoir une image du littoral dans sa globalité. J’ai fait pas mal d’essais en avion et en ULM afin de déterminer le bon angle et la manière de procéder. Et puis j’ai démarché les maires des communes de la côte qui ont trouvé le projet génial. Il était vendu avant d’être réalisé, j’étais donc obligée d’aller au bout !

Quand ces photos ont-elles été réalisées ?
Les prises de vues ont été faites en 2013. En 2014, il y a eu une dizaines de grosses tempêtes qui ont secoué la région, j’ai alors refait des prises de vues pour montrer les effets de l’érosion en une année. À certains endroits, le littoral a reculé de 30 mètres. Nous disposons donc de deux images panoramiques à une année d’intervalle. Depuis, ça n’a pas énormément bougé, je ne vais donc pas refaire des photos car c’est un projet très lourd à organiser. L’assemblage sous Photoshop a été délégué car c’était un énorme travail. Enfin, l’image a été découpée en tronçons pour réaliser le montage sous InDesign.

Exposition en extérieur de 111, d'une pointe à l'autre
Exposition de 111, d'une pointe à l'autre  © Delphine Trentacosta

Comment ces images sont-elles proposées au public ?
L’exposition a été tirée sur des plaques en Dibond qui sont posées sur des tréteaux. Elle peut être montée sous différents formats, en linéaire, en recto verso, selon la configuration du lieu. De 2013 à 2020, l’exposition a été montrée dans de nombreux lieux et dans les onze communes qui bordent le littoral. La version 2014 a été achetée par la commune de Vendays-Montalivet pour être exposée dans les jardins de la Grange du patrimoine où elle a été installée. La version 2013, elle, est destinée à tourner.

Les photos de 2013 et 2014 ont-elles été présentées en parallèle pour montrer les dégâts des tempêtes ?
Oui, à deux reprises les images ont été exposées simultanément, notamment sur la place de la basilique de Soulac-sur-Mer. Les gens faisaient vraiment l’effort d’aller de l’une à l'autre, pour comparer. C’est un bel outil car il y a d’une part la fresque mais aussi des photos complémentaires que j’ai prises en me rendant sur place, à pied, pour montrer les particularités de ce littoral. Pour ces images, nous avons travaillé avec CPIE Médoc, une association spécialisée dans la préservation des zones humides, qui était notre caution scientifique. Nous sommes intervenus dans des lieux très variés que ce soit avec des locaux, des scolaires ou des touristes pour aborder des sujets tels que les baïnes, les blockhaus qu’on voit sur les plages, l’érosion, les déchets, la faune, la flore…

L’exposition 111 constitue un des points forts de Terra Medoca, un sentier d’art qui sera inauguré durant l’été 2021. Pouvez-vous nous en dire plus ?
La sphère Terra Medoca en cours de fabrication
Pour monter 111, j’ai créé l’association Alea, Art Littoral Environnement en Aquitaine, qui s’est donné pour objectifs de promouvoir des projets artistiques en relation avec des questions environnementales dans la région. Ces dernières années, avec Alea, nous avons monté différents projets et nous avons eu l’idée de créer un parcours d’art environnemental dans le Médoc. Le sentier, d’une dizaine de kilomètres de long, est situé sur la commune de Vendays-Montalivet. Il peut être parcouru à pied ou en vélo et traverse différents biotopes : le bord de mer, les dunes, la forêt, les marais... Il démarre avec une œuvre participative présentée en front de mer. Il s’agit d’une poubelle en forme de sphère, réalisée par Lalou-Multi une entreprise de la région, et customisée par l’artiste Catherine Lacroix. Le matériau utilisé est une résine recyclable et recyclée. Cette œuvre est porteuse d’un message : « La Terre n’est pas une poubelle ». L’idée est de la remplir avec des micro-déchets, trouvés sur la plage. Des découpes en plexi permettent de voir l’intérieur. Le sentier sera jalonné par différentes œuvres, éphémères ou pérennes. La fresque des 111, déjà installée à la Grange du patrimoine, se trouve sur le tracé du sentier.
Terra Medoca sera inauguré le 24 juillet 2021 à l’occasion du festival Marée basse qui a lieu chaque été, un soir de pleine lune, avec de nombreux artistes participants, des animations, des performances... Le sentier s’enrichira d’année en année avec de nouvelles œuvres.

Après les 111 vous vous êtes lancée dans un projet au moins aussi ambitieux : Regards croisés sur l’estuaire de la Gironde. De quoi s’agit-il ?
Au moment de la création de la Nouvelle Aquitaine, les deux rives de la Gironde se sont retrouvées dans la même région. Je me suis dit alors que cet estuaire nous reliait mais qu’il nous séparait également comme une frontière. On prend rarement le bac pour aller en face voir ce qui s’y passe. Il y a aussi cette différence langue d’oc/langue d’oïl. L’idée était donc de montrer les deux rives, sur 65 km, en allant d’un bac à un autre puisqu’on peut traverser à deux endroits : de la pointe de Grave à Royan et de Lamarque à Blaye. Les prises de vues ont également été réalisées depuis un ULM. J’ai même pu obtenir l’autorisation de photographier la centrale nucléaire du Blayais car autrement, en raison de la zone d’exclusion aérienne, j’aurais eu un trou de 10 kilomètres sur la rive droite. Les assemblages ont été en revanche beaucoup plus complexes à produire que ceux de 111 car il y a des vignes, des carrelets, des champs…

Regards croisés sur l'estuaire de la Gironde  © Delphine Trentacosta

Une exposition a été montée également ?
Oui, l’exposition existe sous deux formes : une version patrimoniale qui a été exposée dans l’enceinte du phare de Cordouan, la porte d’entrée de l’estuaire, et à Pauillac. Ce sont dix panneaux qui reviennent sur les particularités des deux rives. On parle de l’agriculture, des esturgeons, de l’aquaculture, du verrou Vauban, des phares… Et puis il y a la version grand format qui présente les deux côtés de l’estuaire sur une soixantaine de mètres chacun. La première fois qu’on l’a montée, nous l’avions tirée sur papier et collées dans la rue à même le sol. Malheureusement, deux jours après il y a eu un énorme orage, les images ne sont donc pas restées visibles très longtemps... L’expo a donc été tirée sur Dibond et on a pu la montrer en 2020 pendant deux mois, en plein Covid, au parc de l’estuaire à Saint-Georges-de-Didonne. Cette année, nous nous concentrons sur Terra Medoca mais l’année prochaine nous reprendrons les démarches pour continuer à la faire tourner.

Quels sont vos projets ?
Le Médoc est une terre d’eau. Après avoir photographié le littoral et l'estuaire, l’année prochaine je compte partir de Saint-Vivien-du-Médoc et rejoindre le bassin d’Arcachon en canoë en empruntant les chenaux sur une centaine de kilomètres. Je ne sais pas encore comment ce travail sera restitué, on va peut-être utiliser un drone. L’idée, là aussi, est d’organiser une mission à la fois artistique et scientifique afin de parler de la biodiversité, de l’histoire et de la beauté de cette région.

Propos recueillis le 15 juin 2021.

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