Interview du photographe Christophe Daguet
Rencontrer Christophe Daguet, c'est faire la connaissance d'un photographe à deux visages. Côté pile, un expert de l'image numérique dont il maîtrise tous les aspects, depuis la prise de vue jusqu'à la retouche, pour des travaux de commandes. Côté face, un amoureux de l'argentique et du paysage qui part armé d'un appareil entièrement manuel lorsqu'il se consacre à des projets personnels. Laissons la parole à ce passionné du format panoramique pour qui technicité du numérique et exigence artistique vont forcément de pair.
Papier peint photographié pour l'exposition « Paris romantique, 1815-1848 », détail ci-dessous © Christophe Daguet |
Vous avez récemment réalisé une prise de vue à très haute définition d’un papier peint panoramique ancien pour l’exposition « Paris romantique, 1815-1848 » qui se tient au Petit Palais (du 22 mai au 15 septembre 2019). Pouvez-vous nous en dire plus ?
Détail du papier peint © Christophe Daguet |
Combien d’images avez vous fait ?
Le papier peint est présenté sur 3 panneaux d’environ 2 m de large sur 2,6 m de haut. Pour chaque panneau, j’ai donc fait un petit balayage de 5 images sur 5 avec beaucoup de recouvrement. Comme j’ai travaillé au flash, j’ai pu fermer mon diaphragme afin de limiter les pertes de profondeur de champ. J’ai assemblé les images avec Autopano Pro. Les images finales font 37 000 pixels de large.
Cette image gigantesque aura-t-elle un autre usage que la présentation sur bâche pour l'exposition ?
J’espère ! Il faut savoir que les musées ont peu de moyens pour faire digitaliser leurs œuvres. Le musée des Arts décoratifs qui détient ce papier peint profite donc de cet événement et de son budget pour disposer à présent d’une telle image.
Avez-vous effectué d’autres réalisation de ce type ?
Oui, dans la foulée, j’ai eu quelques commandes dont une consistant à reproduire la bibliothèque du studio de Karl Lagerfeld pour un film documentaire. L’image servira de fond pour des interviews. C’était en effet plus simple et moins coûteux que de faire des incrustations sur fond vert. J’ai utilisé à chaque fois le même procédé que pour le papier peint. Finalement, je trouve que ces commandes sont assez révélatrices des compétences nécessaires pour avoir du boulot aujourd’hui en tant que photographe. Il faut certes maîtriser la prise de vue, la lumière, la colorimétrie mais aussi toute la technique de postproduction.
Blockhaus © Christophe Daguet |
Il y a quelques années, vous avez publié deux livres, Rivages de Normandie et D-Day, présentant uniquement des photos panoramiques en couleur. Vous avez un vrai attachement pour ce format d’image.
Rivages de Normandie, Éditions Ouest-France, 2011. |
D-Day, OREP éditions, 2014. |
Vous aviez travaillé en numérique ?
Non, toutes ces images sont argentiques puis ont été retouchées en postproduction mais ce travail de retouche, je l’ai effectué comme un tireur argentique, en travaillant beaucoup les nuances.
J’utilise un Fuji 617 qui permet d’obtenir 4 diapos de 6 par 17 cm sur de la pellicule 120 Velvia. C’est une chambre simplifiée sans bascule ni décentrement, entièrement manuelle, sans cellule, avec un viseur un peu approximatif et une limitation du diaphragme à f/8 pour conserver de la profondeur de champ. C’est un peu une galère à utiliser mais on obtient une très belle qualité d’image.
Quand j’ai acheté cet appareil au début des années 2000, il permettait de faire du grand format à une époque où c’était beaucoup moins facile qu’aujourd’hui. À l’époque, quand je montrais des Ektas panoramiques à un client sur table lumineuse, ça impressionnait ! Et puis au fil du temps, j’ai continué à travailler dans ce format qui me plaît beaucoup.
En numérique, il y a un vide technique en ce qui concerne la photo panoramique : il n’existe pas de très grands capteurs car le marché n’existe pas. Pour du format panoramique, on est donc obligé soit de recadrer, soit d’assembler avec, dans ce cas, des problèmes quand on est en extérieur lorsqu’il y a du mouvement dans l’image.
En numérique, il y a un vide technique en ce qui concerne la photo panoramique : il n’existe pas de très grands capteurs car le marché n’existe pas. Pour du format panoramique, on est donc obligé soit de recadrer, soit d’assembler avec, dans ce cas, des problèmes quand on est en extérieur lorsqu’il y a du mouvement dans l’image.
Finalement, ce que je trouve assez intéressant dans le format panoramique, qu’on soit en numérique ou en argentique, c’est qu’il y a toujours des contraintes techniques poussées, des problèmes de visée, de parallaxe, de profondeur de champ, de capteur, d’assemblage…
Le Jardin des Plantes de Caen © Christophe Daguet |
Des photographes qui vous inspirent ?
J’apprécie beaucoup tous les photographes de l’école de Düsseldorf mais surtout, j’ai un vrai amour du paysage. C’est pour cette raison que j’ai fait des études de géologie, que j’ai travaillé avec Yann Arthus-Bertrand et je dirais que mes principale sources d’inspiration ne sont pas tant les photographes que ceux qui ont ressenti une émotion avec le paysage et qui ont su la transmettre.
Par exemple, pour la Normandie, je m’inscrivais dans une démarche impressionniste donc je dirais que ce sont plutôt des peintres qui m’ont influencé. J’appliquais la démarche de ces artistes : je me rendais sur un lieu et j’attendais qu’il se passe quelque chose dans le paysage, que la lumière soit bonne. Le temps est souvent gris dans cette région mais il est aussi très changeant. Il y a de belles ambiances mais il faut savoir être patient.
J’ai fait aussi des images à la chambre 20x25 sur l’île de Guernesey et là, ma principale source d’inspiration, c’était Victor Hugo et ce qu’il a pu écrire sur ce lieu.
Après, je dirais que dans la photographie contemporaine, je vais être sensible à la qualité du rendu ou de la retouche et un photographe va me plaire si je vois que techniquement son travail est très abouti.
Grand Canyon en Arizona où fut tournée la scène finale du film Thelma et Louise © Christophe Daguet |
Quels sont vos projets ?
Je suis sur un projet personnel au États-Unis, toujours en panoramique. L’idée est simple : je retourne sur des sites sur lesquels ont eu lieu des tournages de grands films et je fais une photo de paysage en format CinemaScope. Les images sont faites toujours avec le Fuji 617. J’effectue un gros travail sur les nuances, les couleurs, le grain argentique tout en conservant une photo réaliste.
Pour ces images, je réfléchis aussi à un projet de livre autoédité car l’édition photo est inabordable à présent. C’est dommage car un livre peut se vendre dans la cadre d’une exposition par exemple. Trouver le débouché économique pour ces photos qui coûtent cher à produire et rapportent peu est donc assez difficile. En fait, il faut trouver les moyens de diffuser soi-même son propre travail en dehors des circuits traditionnels comme les galeries par exemple qui s’intéressent peu à ce type d’images. Ce qui est paradoxal puisque les images panoramiques d’Andreas Gursky ou Peter Lik atteignent des sommets.
Et puis très bientôt, je vais faire une expo virtuelle sur Facebook avec les images de D-Day car je n’ai pas pu retrouver d’espace assez vaste pour présenter à nouveau les tirages que j’avais faits pour le 70e anniversaire. J’ai donc photographié un lieu en 360° et en postproduction, j’ai incrusté mes images. L’expo ne sera donc visible qu’en ligne à partir du 6 juin 2019 à l’occasion du 75e anniversaire du débarquement.
Propos recueillis le 23 mai 2019.
- Retrouvez les images de Christophe Daguet sur son site ainsi que celui de son studio Digitalid.
- L'exposition virtuelle de D-Day à partir du 6 juin 2019.
- L'interview du photographe Jo Struyven et son immense photo des plages du Débarquement.
- L'interview du photographe François Louchet et ses photos des différents lieux du débarquement.
- L'interview du géographe-géomaticien Romain Stepkow à propos de son immense photo panoramique de Caen après-guerre.
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