Interview du photographe Jean-Claude Martinez

En Europe, en Afrique du Nord ou en Amérique latine, Jean-Claude Martinez photographie la ville sous tous les angles. Son approche, qu'elle soit urbanistique, culturelle ou environnementale est avant tout sociale car ce qui le passionne avant tout, c'est l'être humain et sa place dans la cité. Rencontre avec un photographe humaniste qui a, depuis peu, adopté un dispositif de prise de vue original afin de produire des images panoramiques.

Photo panoramique de touristes autour des colonnes de la Maison carrée de Nîmes.
Nîmes © Jean-Claude Martinez

La ville, qui a fait chez vous l’objet de nombreux projets photographiques, semble être l’un de vos sujets de prédilection. Pouvez-vous nous en dire plus ? 
Oui, depuis trente ans, j’ai beaucoup travaillé sur le milieu urbain, en particulier sur l’habitat social et les projets de transformation de quartiers. Je m’intéresse essentiellement à l’être humain dans la ville que je photographie en noir et blanc. Tout récemment, j’ai publié deux livres, l’un sur l’habitat social de la résidence Corot dans le quartier Pissevin à Nîmes, l’autre réalisé avec l’agglomération de Béziers sur la cité Million.

Couverture du livre Corot d'hier à aujourd'hui
Corot d'hier à aujourd'hui
F. Arnaud (textes), J.-C. Martinez (photos)
Suerte éditions 2018
Couverture du livre Cité Million
Cité Million
A. Koscielniak (textes), J.-C. Martinez (photos)
Suerte éditions 2018

Je viens également de terminer un projet pour l’association Ville et métiers d’art. Dans une vingtaine de villes en France, j’ai photographié à chaque fois quatre artisans. Le livre sort en décembre 2018. 

Vous avez entrepris récemment un travail sur la « douceur des villes », que souhaitez vous montrer avec cette série ?
Depuis un an et demi, pour deux commandes, l’une avec la conservation départementale des musées et du patrimoine du Gers, l’autre avec le musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, je réfléchis sur une manière d’aborder la ville, avec une double préoccupation : montrer à la fois la ville et la vie sociale. J’ai remarqué que souvent, on montre soit l’architecture, soit des personnes isolées. Ce que je veux, c’est pouvoir montrer les deux sur la même image, combiner vie sociale, urbanisme et patrimoine. Avec cette série, je m’intéresse aux modes de déplacements doux comme le vélo et aux aménagements urbains de certains centres-villes qui vont dans le bon sens je trouve.

Pourquoi le choix du panoramique pour ce travail ?
Il y a longtemps, j’avais fait une photo à Séville d’un personnage qui lisait son journal. Le premier plan et la partie basse de mon image était trop éclairés si bien que j’avais coupé la photo en deux. Pendant longtemps, je l’ai gardée dans mon bureau car elle me plaisait beaucoup et petit à petit, l’idée a germé de travailler au ras du sol avec un format standard [24 x 36] et de ne conserver au final que la partie supérieure de l’image pour obtenir un panoramique. Je me suis dit qu’en photographiant de cette manière, on pouvait avoir des personnages au premier plan qui occupent toute la hauteur de l’image et en même temps une image de l’environnement urbain. C’est un procédé que j’ai adopté pour plusieurs séries.

Comment réalisez-vous ces images ?
Pour la prise de vue, l’appareil photo est posé au sol et je vise avec l’écran relevé, en position accroupie. Il s’agit donc d’un « faux » format panoramique puisque les images sont recadrées. J’ai même tracé une ligne sur l’écran de mon appareil et je sais que toute mon image doit se situer dans la partie haute de l’écran. Ce qui est intéressant c’est que cette manière de travailler change la relation avec les personnes photographiées car je ne suis pas caché derrière mon appareil. Parfois certains pensent que je photographie les pieds !

Photo panoramique de femmes balayant les vestiges archéologiques de Sbeïtla en Tunisie
Sbeïtla (Tunisie)  © Jean-Claude Martinez

Durant l’automne 2018, vous avez présenté à Arles une série d’images panoramiques consacrée à l’héritage romano-byzantin dans plusieurs villes d’Europe. Comment s’est construit ce projet ?

Dans le prolongement de mon travail sur la douceur des villes, j’ai proposé l’idée et la démarche photographique au Réseau AVEC (Alliance de Villes Euroméditerranéennes de Culture). Intéressé par mon approche, le réseau m’a missionné pour que j’intervienne sur certaines villes autour du thème du patrimoine romano-byzantin. L’idée était de montrer à la fois ce patrimoine et la relation entretenu avec lui par les habitants, les visiteurs ou ceux qui interviennent dessus. J’ai donc photographié dix villes dans sept pays différents : France, Liban, Malte, Portugal, Roumanie, Serbie et Tunisie.

Qu’avez-vous retenu de cette relation entre villes et habitants/visiteurs ? 
Avec Marie Da Falco, du réseau AVEC, on a réfléchi à la manière d’organiser ces images en fonction des types de relations qui s’établissent entre la ville et les humains : par exemple, les personnes qui entretiennent ou restaurent les sites. Parmi celles qui visitent, celles qui prennent le temps de s’installer et de s’imprégner des vestiges ou au contraire celles qui ne font que passer, font un selfie et s’en vont, ou encore celles qui dégradent le patrimoine en le taguant. J’ai également fait des images sur la façon de vivre l’espace public avec peut-être des résurgences de ce que pouvaient être les jeux dans les arènes antiques. Je pense par exemple à la présentation de l’école taurine d’Arles sur la place du forum ou encore à ces jeunes qui font du sport en Roumanie. J’ai beaucoup apprécié aussi tout ce qui relevait des célébrations religieuses ou profanes ainsi que les reconstitutions de l’époque romaine où cet héritage antique est réactivé en quelque sorte. Voilà, ce sont tous ces types de relations que j’ai essayé de mettre en évidence.

Photo panoramique d'un homme entretenant une stèle antique à Bela Palanka en Serbie
Bela Palanka (Serbie)  © Jean-Claude Martinez

Après Arles et l'exposition à la chapelle des Trinitaires, ces images sur le patrimoine romano-byzantin vont-elles circuler ?
L’exposition sera présentée à Narbonne à la chapelle des Pénitents bleus durant l’été 2019 et peut-être à Tours à l’automne 2019. Et puis on est en contact avec les instituts français des différents pays où j’ai travaillé pour y diffuser également l’exposition.

Quels sont vos projets ?
 
Couverture du livre Latins de Jean-Claude Martinez et Yves Rouquette
Latins
Y. Rouquette (textes), J.-C. Martinez (photos)
Suerte éditions 2006
Je travaille sur « Latinos », un projet que je mène dans plusieurs pays d’Amérique latine (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Mexique) avec une approche sociale et humaniste. C’est une déclinaison, en Amérique, du livre Latins que j'ai publié en 2006.
Depuis plusieurs années je suis également le pèlerinage du Rocío en Andalousie qui a lieu chaque année à la Pentecôte et pour lequel j’envisage également un livre car j’ai des milliers de photos de cet événement.

Propos recueillis le 20 octobre 2018.


Retrouvez les images et l'actualité de Jean-Claude Martinez sur son site ainsi que sur son blog.

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