Interview du photographe Simon Vansteenwinckel

Le photographe belge Simon Vansteenwinckel a effectué avec sa femme d’origine chilienne et leurs trois filles, un voyage d’un an en Amérique du Sud. Dans un très beau livre aux images granuleuses et contrastées, publié en 2018 chez Yellow Now, il nous raconte ce périple à la découverte des racines familiales mais aussi de la culture et des paysages du Chili. Rencontre avec un photographe attaché à l’argentique et adepte de l’Horizon.

Photographie panoramique de Simon Vansteenwinckel de son livre Nosotros
Après une longue ascension, Anna arrive aux pieds des Torres del Paine, Chili © Simon Vansteenwinckel

Vous avez publié en 2018 le livre Nosotros, témoignage d’un voyage familial au Chili et en Argentine. Que souhaitiez-vous montrer de ce voyage ?
Couverture du livre Nosotros de Simon Vansteenwinckel
Nosotros, S. Vansteenwinckel, Yellow Now, 2018
Avant de partir, je m’étais renseigné sur pas mal de sujets qui m’intéressaient au Chili. Et puis un ami photographe m’a alerté en me disant : « Fais attention, c’est un voyage en famille, il faut que tu en profites. Ce sera difficile de partager ton temps entre les moments où tu feras de la photo et ceux où tu seras avec ta famille... ». Je me suis dit qu’effectivement je ne pourrais pas mener un projet au long cours là-bas et que finalement, le plus intéressant serait de photographier le voyage de nos filles, qui découvraient le Chili, et de mon épouse, qui y retournait pour revoir sa famille, car le sujet serait là, sous mes yeux, tous les jours.

Avez-vous rencontré des difficultés à faire des images de votre propre famille tout en conservant le « regard extérieur » du photographe ?
Avant de commencer, je me suis vraiment posé la question : comment faire des photos de voyage qui puissent sortir du cadre de la photo de famille et parler au plus grand nombre. Habituellement, ce genre d’images offre des souvenirs aux proches mais n’intéresse pas grand monde. J’ai donc essayé de ne pas raconter uniquement la famille mais montrer plutôt la découverte d’un pays, le retour vers des racines familiales et faire quelque chose de plus universel, de plus accessible pour tout le monde. Voilà, je ne sais pas si c’est réussi en tous cas c’était le but.

Dès le début du voyage vous envisagiez un livre ou une exposition ?
Oui, j’avais pensé à un projet photographique pour un livre avant même le départ. Au retour, j’ai fait pas mal d’expositions avec cette série. Les photos ont été montrées à Liège, au musée de la Photographie de Charleroi et dans divers festivals en France. Pendant l’été 2018, il y a eu une exposition au Studio Baxton à Bruxelles pour le lancement du livre. Maintenant, le but c’est de terminer l’aventure en présentant l’exposition au Chili. Pour moi, la boucle sera alors bouclée puisque ces photos parlent à la fois de la Belgique et du Chili et de la rencontre entre les cultures de ces deux pays.

Pour Nosotros, vous avez fait, des choix assez radicaux : noir et blanc granuleux, images présentant des accidents de développement ou d’exposition, pas de légendes. Comment avez-vous travaillé ?
Photographie de Simon Vansteenwinckel de son livre Nosotros
Llanos de Challe, Chili  © Simon Vansteenwinckel
J’ai photographié en argentique car c’est un rendu qui me plaît particulièrement. Je suis parti avec des films noir et blanc, une petite cuve de développement et de la chimie en poudre afin de pouvoir développer en cours de voyage et de vérifier que tout se passait bien. Parfois, lorsque les conditions de développement étaient un peu précaires, les films ont subi des traces de calcaire ou de la poussière. Dans un premier temps, je pensais nettoyer tout ça et puis finalement je me suis dit que ces accidents faisaient aussi partie du voyage. J’ai donc préféré les laisser car je trouve que ces défauts n’empêchent pas de rentrer dans les images. C’est aussi ce que j’aime avec l’argentique, il y a des surprises, des accidents, qui apportent parfois un peu de poésie ou de magie à des images qui, sans ça, seraient beaucoup plus classiques.
Pour les légendes, il n’y en a pas car je ne voulais pas mettre en avant les lieux, la route ou les éléments touristiques qu’on rencontre en Argentine ou au Chili. Pour moi, ce n’était pas le propos, il ne s’agissait pas de faire un livre de voyage mais plutôt de faire des photos qui parlent aux gens de manière émotionnelle.

Avec quel matériel êtes-vous parti ? 
J’avais pris quatre boîtiers : deux Olympus OM1, des boîtiers mécaniques fiables pour avoir le moins de risque de panne. Un Hexar AF, un petit boîtier autofocus pour faire des images d’action, prises sur le vif, et puis un Horizon que je voulais utiliser pour les paysages. C’est un boîtier russe panoramique avec un objectif monté sur une tourelle qui pivote au moment du déclenchement. Je m’en suis beaucoup servi pour photographier la ville de Valparaiso.

Photographie panoramique de Simon Vansteenwinckel de la série Cowboys et Indiens
© Simon Vansteenwinckel

Pour revenir à la Belgique, avec deux autres photographes, vous travaillez sur la série « Cowboys et Indiens ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
En Belgique, il y a pas mal d’événements ou de rassemblements un peu bizarres. Un jour avec Gil Barez et David Ameye, deux amis photographes, on est tombé par hasard sur un concours de team penning [équitation western]. Ce sont des épreuves d’adresse à cheval qui consistent, par exemple, à regrouper des veaux dans un enclos ou à faire du saut d’obstacles. On a commencé à faire des photos ce qui nous a permis de découvrir toute une communauté de cavaliers et de fans du far west, un milieu qui nous était totalement inconnu. Au fil du temps, on a photographié d’autres événements, des reconstitutions avec la cavalerie, des indiens, des cowboys et puis comme on avait pas mal d’images, on a décidé d’en faire une série. Le titre vient du fait que ces reconstitutions nous faisaient fort penser aux enfants qui jouent aux cowboys et aux indiens. Visuellement, c’est très intéressant car lorsqu’on présente les photos, la première réaction des gens c’est de penser qu’elles ont été prises au États-Unis. En regardant un peu mieux, on se rend compte alors qu’il y a des bouteilles de Jupiler, des affiches belges... Autant de petits détails qui ramènent à la Belgique.

Photographiez-vous séparément en vous répartissant des sujets ?
Non, on y va chaque fois tous les trois parce que c’est agréable de faire des photos ensemble et de comparer ensuite nos travaux. Ça créé une espèce d’émulation positive. Chacun fait donc ce qu’il veut, de manière un peu instinctive. On ne voit pas les mêmes choses et, au final, on a trois visions différentes du même sujet.

La série « Cowboys et Indiens » vue par trois photographes :

Pour cette série, toutes vos images sont au format panoramique, vous photographiez également avec l’Horizon ?
Oui, je fais tout à l’Horizon. Comme il a un angle de prise de vue très large, sans déformation, on peut avoir des gens sur le côté qui ne se rendent même pas compte qu’on les prend en photo. Et puis je trouve que le rendu panoramique rappelle un peu le format des westerns. Gil, de son côté, travaille en 24x36 et en panoramique avec un XPan et David, lui, est en 24x36 et parfois en carré.

Parmi toutes vos séries, vous semblez privilégier le noir et blanc.
Je ne fais presque que du noir et blanc. Ça m’arrive de faire de la couleur quand elle est pertinente mais spontanément je photographie en noir et blanc car c’est le rendu que j’aime bien. Pour moi, le noir et blanc focalise sur l’image, le jeu de lumières, la composition, et apporte un côté intemporel qui me plaît beaucoup. Et puis j’adore le rendu bien contrasté et granuleux du film argentique. C’est un choix esthétique. C’est aussi très simple à travailler, je rentre chez moi et je peux développer facilement les négatifs.

Quels photographes vous inspirent ?
Il y en a beaucoup. En 2018, à Bruxelles, s’est tenue l’exposition « Eyes Wild Open » avec pour commissaire la photographe française Marie Sordat. Elle regroupait environ une trentaine d’artistes de tous horizons en commençant par Robert Frank ou les Japonais de Provoke jusqu’à des photographes contemporains. Ce courant représente une photographie émotionnelle, poétique qui m’inspire beaucoup car plutôt que de retranscrire la réalité, elle l’interprète à sa manière. Je pense également au photographe Michael Ackerman et son livre Half Life. Après, j’apprécie aussi des photographes plus classiques comme Sebastião Salgado ou Stephan Vanfleteren. Je suis moins sensible à la photographie contemporaine qui met plus en avant le concept que l’image elle-même. Pour moi, une bonne photo doit traduire une atmosphère, provoquer une émotion plutôt qu’une réflexion intense ou un questionnement.

Quels sont vos projets ?
En février 2019, j’aurai une exposition chez Home Frit’ Home, le musée de la frite à Bruxelles. Ils exposent de nombreux artistes autour du thème de la Belgique. Je présenterai un melting pot d’images depuis mes débuts et on sortira dans la foulée un livre intitulé Platteland.
J’ai plusieurs séries en cours : « Cowboys et Indiens » bien-sûr et puis « Sabbat » qui me prendra plus de temps, autour de la sorcellerie, du mysticisme, des rites païens… Je travaille aussi sur « Dominance », un projet où je confronte l’iconographie religieuse à l’esthétique BDSM.
Couverture du premier livre de photographies 1010, éditions Le Mulet
1010, Le Mulet, 2018
Avec des photographes belges, je mène également le projet « 1010 » : dix photographes font dix photos d’un lieu. Avec ces cent photos, on sort un livre et on fait une exposition dans la rue, sur le lieu photographié. Le premier opus était consacré à la gare du Midi à Bruxelles et le prochain, qui sortira au printemps 2019, concernera la côte belge de la mer du Nord. Ces livres sont édités chez Le Mulet, la maison d’édition que j’ai fondée avec le graphiste et photographe Mathieu Van Assche.
Enfin, je participe au comité de rédaction de la revue Halogénure.

Propos recueillis le 25 novembre 2018.

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