Interview du photographe Jo Struyven

Avec le photographe Jo Struyven, on entre dans une autre dimension : celle du très grand format, de l'image ultralongue, à l'instar de son D-Day Panorama qui mesure plus de 80 mètres. Cette image, installée durant tout l'été 2019 à Port-en-Bessin-Huppain à l'occasion du 75^e anniversaire du Débarquement, n'est pas un coup d'essai pour le photographe belge comme il nous l'explique. Rencontre avec un adepte des « panoramas de l’extrême » qui nous dévoile comment il réalise ses images incroyables.

D-Day Panorama installé sur le chemin des Tourettes à Port-en-Bessin-Huppain  © Jo Struyven

De juin à octobre 2019, vous présentez à Port-en-Bessin-Huppain (14) une immense photo panoramique de la côte normande où ont eu lieu les différentes opérations du Débarquement en juin 1944. Comment avez-vous réalisé cette image ?

La Côte de Normandie et les Plages du Débarquement
2019, Jo Struyven

C’est beaucoup de travail ! J’ai fait trois séries de prises de vue : à deux reprises depuis un bateau de pêche et une fois depuis un Zodiac. Nous naviguions à 8 ou 9 nœuds, environ 15 km/h, ce qui m’obligeait à prendre une photo toutes les dix secondes. Il n’y avait rien d’automatique, chaque photo devait être cadrée. J’ai travaillé avec un Nikon D800 et un zoom. Mais je pense que l’idéal pour ce type de prise de vue, c’est de travailler avec un 200 mm fixe. En tout, j’ai dû faire environ 7000 photos. De cette manière, j’ai couvert 90 km de côtes depuis Franceville-Merville Plage jusqu’à Quinéville. Ensuite, c’est un très long travail d’assemblage avec Photoshop. J’ai mis près de cinq ans pour finaliser ce projet qui comprend l’image exposée et un livre.

Quelle est la taille de l’image finale ?
Elle mesure 84 m de long sur 28 cm de haut. Heureusement qu’elle n’est pas plus longue car nous n’aurions pas pu l’exposer, il n’y avait plus beaucoup de place ! Sur la photo, 1 m représente environ 1 km en réel. En hauteur, j’ai supprimé de l’eau et du ciel afin de focaliser l’attention sur la côte. 

Comment l'avez-vous imprimée ?
C’est du Dibond avec une finition mate qu’on a imprimé ici en Belgique près d’Anvers. Ce sont des panneaux de 3 m qui sont glissés sur un rail puis vissés sur une longue structure que j’ai conçue. Je suis assez satisfait de l’impression qui est stable et de bonne qualité. Les panneaux vont devoir résister aux coups de vent et aux intempéries pendant 4 mois...

Détail du D-Day Panorama  © Jo Struyven

Vous avez également effectué un gros travail de recherche dans les archives.
Pour moi, ce travail est avant tout photographique plus qu’historique. Mais ce que je voulais quand même, c’est qu’on ait une perception visuelle de cette côte et que l’on puisse identifier tous les lieux où les soldats ont débarqué, ont été parachutés et se sont battus, Et puis, en faisant des recherches, j’avais vu un vieux panorama d’Utah Beach. J’en ai retrouvé d’autres lors de ventes, ainsi qu’au musée de Caen, au War Heritage Institute de Bruxelles et à Portsmouth. Ces panoramas, faits à partir de photos découpées, avaient été réalisés quelques mois avant le débarquement, entre janvier et mars 1944, afin de reconnaître la silhouette de la côte pour que les skippers sachent où naviguer. Les photos avaient été prises depuis un Spitfire qui devait voler très bas, peut-être 5 ou 6 m au-dessus du niveau de la mer. J’ai donc mis en concordance ces images anciennes et la photo actuelle, sous le panorama exposé en Normandie ainsi que dans le livre.

Comment avez-vous conçu le livre ?
Il est composé de trois parties. D’abord l’image que j’ai réalisée, ensuite une partie historique sur le Débarquement et enfin la confrontation des panoramas anciens et de ma photo de la côte.

Terre en Vue!
2011, Jo Struyven

Bruxelles Rive gauche - Rive droite
2013, Jo Struyven

Vous aviez déjà mis au point ce procédé pour vos livres précédents comme Terre en vue et Bruxelles Rive gauche - Rive droite.
Oui, en 2011, pour le livre Terre en vue, j’avais confronté les côtes belges et anglaises et réalisé deux images d’une soixantaine de mètres de longueur exposées dans les Venetiaanse Gaanderijen (Galeries vénitiennes) d’Ostende.
Bruxelles Rive gauche - Rive droite était une mission réalisée à l’occasion du 20^e anniversaire du port de Bruxelles en 2013. L’image avait été très difficile à produire en raison de la perspective des ponts car je n’avais pas beaucoup de recul.
Et puis en 2016, j’ai fait L.A.M.P.E.D.U.S.A van horizon veranderen (changer d'horizon) qui a été exposée en galerie ici en Belgique, dans une biennale en Pologne et qui est présentée en permanence à La Panne (Belgique). C’est une image de 9 m de long de la côte sud de Lampedusa, celle que voient les migrants quand ils abordent l’île.

Propos recueillis le 3 juin 2019.

• Retrouvez les images et l'actualité de Jo Struyven sur son site.

 Pour prolonger la lecture :

• L'interview du photographe Frédéric Delangle et sa très longue image de Bénarès.
• L'interview du photographe Christophe Daguet et ses images de Normandie.
• L'interview du photographe Laurent Dequick et son livre leporello consacré au Grand Canal de Venise. 
• L'interview du photographe François Louchet et ses images des différents lieux du débarquement. 
• L'interview de la photographe Delphine Trentacosta et ses images de la côte et de l'estuaire de la Gironde.